Œuvre journalistique de François Mauriac 1937-1938

Réponse

Vendredi 29 avril 1938
Temps présent

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BILLET

RÉPONSE[1][1] Article repris dans les Mémoires politiques (in JMP, p. 732-33).

par François MAURIAC.

Le goût de la dénonciation : c’est
à cela qu’au collège on reconnais-
sait les caractères bas. Les catholi-
ques n’en sont pas exempts et il
n’est rien qui me répugne davan-
tage.

On pourrait croire que ceux qui
ont subi eux-mêmes l’épreuve d’une
réprobation solennelle[2][2] Allusion à la condamnation de l’Action française par Pie XI le 29 décembre 1926. En raison de cette décision, tous les ouvrages de Charles Maurras ainsi que le quotidien de son mouvement furent mis à l’Index. Quelques mois plus tard (le 8 mars 1927), les adhérents de l’Action française (y compris Pierre Mauriac, le frère aîné de François) furent interdits de sacrements. ont renoncé
à ce triste jeu ? Mais non : ils cher-
chent à mettre leurs adversaires po-
litiques en contradiction avec le
Saint-Père[3][3] Allusion à l’article « Deux textes » , signé « A. F. » et publié en deuxième page de L’Action française du 20 avril 1938. L’auteur anonyme y confronte un extrait de l’article de Mauriac intitulé « Ténèbres » paru le 15 avril dans Temps présent : « ce n’est pas au nom de la vraie Croix que l’Espagne va être « épurée » » , et un extrait d’une déclaration de Pie XI, répondant le 18 avril à un télégramme du général Franco : « Heureux de sentir vibrer dans l’hommage de Votre Excellence la voix authentique de l’Espagne catholique. » Le journaliste continue :

« Ces deux textes s’opposent absolument.
Pour M. Mauriac et ses amis, le général Franco est un rebelle, un chef de bandes, un massacreur, déshonorant l’idée chrétienne qu’il exploite, et dont les crimes sont plus sévèrement flétris que ceux des rouges.
Pour Pie XI, le général Franco, c’est « la voix authentique de l’Espagne catholique. » […]
En conséquence :
Ou bien c’est le Pape qui se trompe ;
Ou bien ce sont MM. Mauriac, Maritain et leurs amis.
On nous permettra de suivre le Pape !
Mais, eux, que vont-ils faire ? »
— comme s’ils étaient
qualifiés pour cela…

Seulement ils choisissent bien mal
leur terrain pour nous attaquer. Le
général Franco exprime au Pape la
gratitude des catholiques espagnols :
« Au moment de l’élévation sur les
autels du missionnaire franciscain
Salvator Da Horta[4][4] Missionnaire franciscain (1520-1567) canonisé le 17 avril 1938.… » Et le Saint-
Père répond : « … Heureux de sentir
vibrer dans l’hommage de votre Ex-

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cellence la voix authentique de l’Es-
pagne catholique dont le couronne-
ment de saints s’enrichit, pour sa
meilleure fortune, d’un nouveau
héros de la force chrétienne[5][5] Les deux textes sont reproduits dans un article intitulé « La Guerre civile en Espagne : Après la canonisation de Salvator de Horta » , La Croix, 20 avril 1938, p. 2 :

« A l’occasion de la canonisation de saint Salvator de Horta, le général Franco a adressé au Pape le télégramme suivant :

« Au moment de l’élévation sur les autels du missionnaire franciscain Salvator de Horta, qui pendant sa vie unit le suprême idéal de sa foi à ses héroïques vertus apostoliques, je désire faire parvenir à Votre Sainteté, avec la gratitude du peuple espagnol, pour cette canonisation d’une valeur symbolique en cette heure où, tous unis, nous approchons du sommet de nos pures aspirations sur le difficile sentier de l’effort et du sacrifice, l’assurance renouvelée de l’adhésion de l’Espagne et la mienne au trône du Pontife. »
FRANCISCO FRANCO.

Le Pape a répondu en ces termes :
« Heureux de sentir vibrer dans l’hommage de Votre Excellence la voix authentique de l’Espagne catholique, dont le couronnement de ses saints s’enrichit pour sa meilleure fortune d’un nouveau héros de la force chrétienne, Nous vous envoyons de tout cœur Notre Bénédiction apostolique, propiciatrice de faveurs divines. » »
… »

Il s’agit donc, ici, d’un mission-
naire franciscain canonisé, et non de
« la guerre sainte » . Le Pape recon-
naît dans le message que le général
Franco lui adresse à cette occasion
la voix de l’Espagne catholique.

Mais cela ne signifie pas que les
Allemands, les Italiens et les Maures
aient été des « Croisés » , ni que les
moyens utilisés par les chefs natio-
nalistes s’accordent avec les paroles
prononcées, il y a dix-neuf siècles,
« sur la Montagne[6][6] Voir les chapitres 5 à 7 de l’évangile selon saint Matthieu. » .

J’écris cela sans passion, sans hai-
ne, n’ayant d’autre désir que la paix
pour l’Espagne, après tant de souf-
frances. Mais nul n’a le droit de tirer
à soi les paroles du Pape pour leur
faire dire ce qu’elles ne disent pas.



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