Œuvre journalistique de François Mauriac 1937-1938

[Lettre à L’Action française]

Jeudi 1er décembre 1938
L’Action française

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Nous avons reçu de M. François Mauriac, de l’Académie française, la lettre suivante :

30 Novembre 38.

Monsieur le directeur[1][1] A cette époque, Léon Daudet et Charles Maurras étaient les directeurs politiques de L’Action française, et Maurice Pujo en était le rédacteur en chef.,

La phrase que vous citez ce matin[2][2] Dans un article intitulé « M. Mauriac super-nationaliste » , publié à la une de L’Action française du 30 novembre 1938. (avec une coquille) et que M. de Kerillis[3][3] Henri Adrien Calloc’h de Kérillis (1889–1958), journaliste et homme politique français. Pendant onze ans (1926–37), il fut chef des services politiques de L’Écho de Paris, journal qu’il quitta en juin 1937 pour créer un quotidien non moins nationaliste : L’Époque. En 1936, il fut également élu député de Neuilly-sur-Seine et fut le seul député non communiste de droite à votre contre les accords de Munich. a publiée[4][4] Voir « Les Élites françaises et la campagne de Henri de Kerillis » , L’Époque, 29 novembre 1938, p. 1. après m’en avoir averti, est extraite d’une lettre où je lui exposais pourquoi, en septembre, je n’étais pas d’accord avec lui. J’ai approuvé alors la politique suivie par le gouvernement. Mais c’est parce que je suis contre la guerre, non seulement pour aujourd’hui mais pour demain, que certains arguments de Kerillis me paraissent dignes d’attention.

Ce que j’écrivais des nationalistes visait surtout leur politique espagnole, et l’opinion exprimée par plusieurs d’entre eux qu’en cas de conflit, une victoire française serait redoutable parce qu’elle serait aussi une victoire communiste[5][5] Dès le début de la guerre d’Espagne, la presse de droite (notamment L’Écho de Paris et L’Action française), agitant le spectre de la menace rouge, avait fait campagne contre une intervention de la part de la république française pour soutenir la république espagnole mise à mal par l’insurrection nationaliste. N’oublions pas que ce furent les articles à la une de L’Écho de Paris du 24 juillet 1936 (Henri de Kerillis, « Il faut empêcher le gouvernement de ravitailler les communistes espagnols » et R. L., « C’est M. Blum qui a donné l’ordre de fournir les armes » ) qui ont incité Mauriac à dicter en urgence son article « L’Internationale de la haine » au téléphone depuis Vichy (où il prenait les eaux) pour qu’il paraisse le lendemain à la une du Figaro. Entre-temps, l’opinion de Mauriac avait évidemment beaucoup évolué.. Mais, sans rouvrir ce débat, je tiens à reconnaître que l’expression « haine inconsciente de la France » dont je me suis servi dans une lettre privée où je ne pesais pas mes mots, et qui, dans un article, ne serait jamais venue sous ma plume, dépasse de beaucoup ma pensée. Je regrette de n’avoir pas demandé à M. de Kerillis de choisir une autre phrase que celle qu’il a citée.

Je serais heureux, Monsieur le directeur, de voir publier cette mise au point et je vous prie d’agréer mes salutations distinguées. —

FRANÇOIS MAURIAC.

Nous donnons acte volontiers à M. François Mauriac de la « mise au point » qu’il s’inflige à lui-même. Mais nous avons le droit de nous étonner que M. de Kerillis, en dépit de la rude leçon reçue du général Armengaud[6][6] Paul François Marie Armengaud, général de l’armée de l’air française. Pendant les années 30, il publia plusieurs études (notamment dans La Revue des deux mondes) pour attirer l’attention du public français sur le retard que la France avait pris en matière d’aviation militaire par rapport à d’autres pays. Son livre L’Aviation et la puissance offensive de l’instrument de guerre de demain parut chez Gauthier-Villars en 1932., présente comme témoignages, en faveur de sa politique des lettres où on lui exposait pourquoi l’on n’était pas d’accord avec lui.



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