Œuvre journalistique de François Mauriac 1937-1938

François

Vendredi 9 décembre 1938
Temps présent

Page 1

BILLET

FRANÇOIS[1][1] Article non repris.

« Que d’hommes admirables et
qu’on ne connaîtra jamais[2][2] Citation approximative de La Bruyère, Caractères (1688), « Du mérite personnel » , 3(I) : « Combien d’hommes admirables, et qui avaient de très beaux génies, sont morts sans qu’on en ait parlé ! Combien vivent encore dont on ne parle point, et dont on ne parlera jamais ! » ! » Pour
que nous sachions que le 11 novem-
bre 1935 un enfant s’est endormi
dans le Seigneur, comblé de tous les
dons humains et de toutes les ri-
chesses de la grâce, il a fallu la pré-
sence d’un témoin, à la fois di-
recteur et Père, et qui a recueilli
les fragments de lettres et le jour-
nal publié aujourd’hui[3][3] Auguste Valensin, jésuite, 1879-1953. A Lyon, Valensin rencontre « François » , adolescent avec lequel il entretient une importante correpondance et qui meurt en 1935. Il publie en 1938 ses lettres et son journal intime chez Plon sous le titre François qui connaîtra un large success de librairie. (1).

Le génie de ce jeune garçon erre
de la philosophie aux lettres, de la
musique à la peinture et ne se fixe
pas. Tout ce qu’il voit et tout ce
qu’il comprend, les idées invisibles
et le monde des apparences, il le
fixe en quelques mots saisissants,
mais il lui arrive aussi de le dessi-
ner ; et le jour où ce petit provin-
cial aurait été mis en contact avec
la peinture moderne, peut-être son
don essentiel se fût-il alors mani-
festé. Avant l’agonie, ce n’est pas
une dernière parole, c’est un der-
nier dessin qu’il nous livre : ces
quelques traits d’une main mouran-
te (reproduite à la fin du journal),
cet arc, cette flèche, cette croix, ce
rien qui exprime tout, me persuade

(1) François, présenté par Auguste Va-
tensin. (Plon, éditeur.)
--- nouvelle colonne ---

qu’il détenait le pouvoir de char-
ger un simple trait de ce même
mystère que Mozart[4][4] Wolfgang Amadeus Mozart (1756-1791). exprime avec
trois ou quatre notes.

Le témoignage en faveur du
christianisme dont je vous parlais
dans un Billet : cette présence vi-
sible de la Grâce dans une âme[5][5] Voir « Tabernacles vivants » , Temps présent, 25 novembre 1938., il
nous est donné ici, et avec quelle
force de persuasion ! Cet enfant
doit mourir à dix-neuf ans, le temps
est court, Dieu brûle les étapes.
Nous voyons de page en page, et
presque d’heure en heure, la con-
naissance tourner à l’amour, et
l’amour atteindre à sa perfection.

Son directeur lui faisait confian-
ce. Cet enfant philosophe et voué
aux idées avait beaucoup lu, pres-
que tout, sauf les niaiseries. Son di-
recteur ne croyait pas que les livres
niais fussent particulièrement des-
tinés aux enfants catholiques. La
pureté de François resplendit, mais
elle n’est pas fondée sur le menson-
ge. En se livrant à Dieu, il n’igno-
rait rien de ce monde auquel, mê-
me vivant, il aurait sans doute re-
noncé, lui qui était né, pourtant,
avec tous les signes de la domina-
tion.



Date:
© les héritiers de François Mauriac (pour le texte des articles) et les auteurs (pour les notes)