Nous avons publié des listes de généraux et de colonels de
l’armée française approuvant la campagne de Henri de Kerillis[1][1] Henri Adrien Calloc’h de Kérillis (1889–1958), journaliste et homme politique français. Ayant commandé une escadrille de bombardement pendant la Grande Guerre, il entra à L’Écho de Paris en 1918 pour faire une chronique quotidienne « des choses de l’air » (Henri de Kérillis, « Dix-neuf ans à côté d’Henry Simon » , L’Écho de Paris, 31 mai 1937, p. 1 et p. 5 (p. 1). En 1926, il succéda à Clément Garapon comme chef des services politiques de ce journal nationaliste. En 1936, il fut élu député de Neuilly-sur-Seine et fit partie, à l’Assemblée nationale, du groupe Indépendants républicains, présidé par Georges Mandel. Il s’intéressait surtout aux questions de politique extérieure ; son livre Français, voici la guerre parut chez Grasset en 1936.
contre la capitulation honteuse de Munich[2][2] Après la signature des accords de Munich qui scellaient la mort de la Tchécoslovaquie en tant que pays indépendant, Henri de Kérillis fut le seul député de droite (avec 73 communistes et un seul socialiste) à voter contre la ratification de ces accords lors de la séance de nuit du 5 octobre 1938 à la Chambre. Selon le reporter du Figaro : « Il regrette que la France n’ait pas su tenir tête à l’Allemagne et déclare qu’il ne votera pas la paix de Munich « qui va consacrer, avec le triomphe d’Hitler, celui du fascisme international » » (Roger Dardenne, « Grande journée parlementaire : Les critiques de M. de Kérillis » , Le Figaro, 5 octobre 1938, p. 5). Fort de cette indignation parlementaire, Henri de Kérillis lança une campagne antimunichoise à travers les colonnes de L’Époque..
Déconcertés par cette publication, certains polémistes ont af-
fecté
de croire que l’hostilité à la politique du déshonneur et de
l’abdication était limitée aux milieux militaires.
Un immense courrier reçu par notre directeur[3][3] Henri de Kérillis. atteste du con-
traire.
Parmi des milliers et des milliers de lettres, nous en choi-
sissons
quelques-unes qui prouveront que les élites de la France,
en dépit des efforts de l’immense majorité de la presse française,
réagissent violemment. Après des listes de grands soldais, voici
une liste de grands civils :
… Je ne connais à peu près rien aux querelles personnelles de la
politique intérieure en France et j’entends persévérer dans cette salutaire
ignorance. Je n’en suis que plus à l’aise pour vous dire ceci : les articles
que vous consacrez à la situation internationale et au danger dans lequel
se trouve présentement notre patrie me semblent excellents, riches de bon
sens, de vigueur et de courage.
C’est dans une égale et constante horreur du stalinisme et de l’hitlé-
risme
que la France doit trouver sa voie.
Bon courage, monsieur ! …
… Je considère que vous êtes à peu près seul, aujourd’hui, à droite,
à aimer la France comme l’aimaient les nationalistes d’avant la guerre.
Les pires ennemis de Déroulède[5][5] Paul Déroulède (1846–1914), écrivain et député français. Après avoir participé à la désastreuse guerre franco-allemande de 1870, il devint le grand apôtre de la revanche contre l’Allemagne et, en mai 1882, créa la Ligue des patriotes (dotée de son propre organe de presse, Le Drapeau), un des premiers mouvements de masse du nationalisme français (avec près de 200 000 adhérents en 1887). Suite à la décision de s’approcher du général Boulanger (orientation défendue par Déroulède), la Ligue connut une scission importante en 1888 avant d’être dissoute une année plus tard après le refus du général de profiter de son succès électoral à Paris pour organiser un putsch militaire (malgré l’incitation de Déroulède). Déroulède lui-même fut élu député de la Charente à deux reprises en 1889 et 1898. Au milieu de ce second mandat, il récidiva en essayant d’entraîner le général Roget à marcher sur l’Élysée lors des obsèques de Félix Faure en février 1899. Comme le général Boulanger en 1889, le général Roget s’y refusa. Déroulède fut arrêté puis banni en Espagne, avant d’être amnistié en 1905. n’en ont jamais douté qu’il ne mît la
France au-dessus de tout. Le jour où l’on écrira l’histoire du nationalisme,
il sera curieux d’étudier cette évolution étrange qui aboutit, chez ses héri-
tiers
d’aujourd’hui[6][6] A qui Mauriac pense-t-il ? Dans sa lettre publiée à la une de L’Action française du 1er décembre 1938, il explique : « Ce que j’écrivais des nationalistes visait surtout leur politique espagnole, et l’opinion exprimée par plusieurs d’entre eux qu’en cas de conflit, une victoire française serait redoutable parce qu’elle serait aussi une victoire communiste. » Dès le début de la guerre d’Espagne, la presse de droite (notamment L’Écho de Paris et L’Action française), agitant le spectre de la menace rouge, avait fait campagne contre une intervention de la part de la république française pour soutenir la république espagnole mise à mal par l’insurrection nationaliste. N’oublions pas que ce furent les articles à la une de L’Écho de Paris du 24 juillet 1936 (Henri de Kerillis, « Il faut empêcher le gouvernement de ravitailler les communistes espagnols » et R. L., « C’est M. Blum qui a donné l’ordre de fournir les armes » ) qui ont incité Mauriac à dicter en urgence son article « L’Internationale de la haine » au téléphone depuis Vichy (où il prenait les eaux) pour qu’il paraisse le lendemain à la une du Figaro. Mais, en évoquant les « héritiers d’aujourd’hui » du nationalisme, peut-être Mauriac pensait-il aussi à des groupes comme le Parti populaire français, créé en juin 1936 par l’ancien communiste Jacques Doriot — c’est-à-dire à des mouvements d’extrême droite qui prônaient une alliance franco-allemande pour contrer l’influence de l’URSS et qui finiraient par soutenir la politique de collaboration suite à l’Occupation nazie. Déroulède aurait effectivement eu en horreur toute tentative de rapprochement avec l’Allemagne., à une haine inconsciente de la France[7][7] Cet extrait de la lettre que Mauriac avait envoyée à Henri de Kérillis fut repris le lendemain dans un article intitulé « M. Mauriac super-nationaliste » , publié à la une de L’Action française.…
… Quoique le courage soit de moins en moins méritoire à mesure
que les événements prouvent à tous à quel point vous étiez dans le vrai,
je tiens à vous féliciter encore de ce que vous avez fait à un moment où
il y avait quelques risques à le faire contre tous. En des jours où certaines
défaillances des meilleurs nous blessaient au cœur, seul ou presque seul
vous avez tenu.
… Vous avez soutenu le bon combat dans votre journal et à la Cham-
bre.
Si vous étiez seul, mais vous n’êtes pas seul dans l’opinion des bons
Français. Puisse leur sympathique approbation vous donner la force de
persévérer dans la rude tâche de ramener les égarés dans le chemin
de la vérité et de l’honneur…
… Je vous suis quotidiennement, je suis d’accord avec vous dans l’obs-
tination
que vous mettez à sonner le réveil des âmes, je fais effort pour
que votre effort soit apprécié et soutenu dans nos milieux…
… Je tenais à vous dire mon admiration sans réserve pour vos
magnifiques et généreux articles, pleins de flamme et de vérité vengeresses
réconfort quotidien pour quiconque sent encore « français » …
Au milieu de toute la presse conservatrice, L’Époque aura été le seul
journal fidèle à la ligne de l’honneur (qui coïncidait de si éclatante
manière avec l’intérêt français)…
… Vous avez voté seul de votre parti, mais vous n’êtes pas seul dans
ce pays à penser que l’accord de Munich est une grande défaite française,
pire, une abdication aux conséquences incalculables. Nous avions la fierté
de notre pays, il va devenir de plus en plus difficile de vivre avec le senti-
ment
contraire et pas seulement pour nous qui, du premier jour, avons
profondément senti l’humiliation, mais pour tous ceux qui, en ce moment,
se réjouissent aveuglément d’une paix sauvée à de telles conditions.
… Vous êtes, en ces heures d’angoisse, trop occupé pour que je pense
à usurper sur votre temps ; mais je tiens à vous dire que dans toute la
presse politique vous êtes le seul avec qui je me sente en pleine communion
morale, et que votre main est la seule que je serais heureux de serrer…
… La campagne que vous avez menée au cours de ces dernières
semaines vous honore. Vous avez le cœur bien placé. Pour la troisième
fois en trois ans, la France vient de subir une grande défaite…