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LE difficile, c’est de parler de
ces choses froidement, sans
que personne puisse vous
soupçonner de chercher des effets,
ni de vous être dit : Quatre-vingt-
Qui de nous
cinq
cadavres d’enfants, quel beau
sujet d’article
pourtant, aujourd’hui, n’éprouve,
au milieu des hommes, la tentation
du silence ? Nous ne souhaitons
plus que de nous plaindre en se
cret
devant Dieu, ou si nous n’avons
pas la foi, devant les arbres et sous
les étoiles :
grande plainte
Que l’humanité triste exhale sourde
mentLa Maison du berger
, III,
C’est à toi qu’il convient d’ouïr les grandes plaintes
.
Que l’humanité triste exhale sourdement
Le difficile, c’est de n’être pas
interrompu dès les premiers mots
par : et les quinze mille prêtres
et de ne pas dé
de Barcelone
chaîner
aussitôt la morne bataille à
coups de cadavres. Comme si cha
que
parti avait un compte ouvert
sur la mort, un crédit illimité !
comme si les quatre-vingt-cinq
enfants assassinés, un dimanche à
midi
comme s’ils étaient légalement dus
à ce MinotaureLe Minotaure
,
effroyable et qui se gorge de sang
à la fois en Espagne et en Chine
N’essayez pas de faire entendre
aux adversaires qu’on ne saurait
comparer des choses qui ne sont
pas de même nature, et qu’il est
vain de prétendre établir quelque
rapport entre le massacre atroce
auquel se livre un peuple furieux,
le lendemain d’une rebellionrebellion
dans l’original.
taire
ville ouverteville ouverte
est ainsi défini par les accords internationaux : ville déclarée rendue sans combat afin de l’épargner de la ruine de par un accord entre les belligérants. Certaines d’entre elles furent tout de même bombardées comme Rome le 19 juillet 1943 ; cf. le film de Roberto Rossellini de 1945,
au point dans le silence du cabinet
(On voudrait savoir pourquoi ils
ont choisi un dimanche
cause du vide des rues et pour tuer
moins de monde ? ou au contraire
parce qu’ils espéraient beaucoup
des promenades en famille ?…)
Il faudrait que dans les capitales
de l’Europe la question du bombar
dement
des villes ouvertes soit po
sée
en dehors de toute polémique,
sans cris d’indignation ni vêtements
déchirés
de femmes et d’enfants. Cela ne
sert de rien : ces cadavres, nous les
voyons tous les jours au cinéma,
entre un match de football et une
exhibition de patinage sur glace
Pas un cri, pas un soupir ne monte
de la foule engourdie et repue.
Ce qu’il faudrait lui faire enten
dre,
à cette foule, c’est que le Mi
notaure
n’a pas pour l’Espagnol,
pour le Chinois ni pour l’Abyssin
un goût exclusif, qu’il s’entraîne,
qu’il se met en appétit, qu’il s’en
graisse
et se fortifieL’Ennemi
:
Et l’obscur ennemi qui nous ronge le cœur
Du sang que nous perdons croît et se fortifie.
curée où nous ne serons plus seule
ment
spectateurs. Ce qu’il faut leur
répéter, c’est que demain peut-être
c’est nous qui serons filmés par les
opérateurs du Pathé-Journal
chés
sur une rangée funèbre et cher
chant
à reconnaître un visage.
Si nous ne sommes capables de
nous émouvoir que lorsque notre
sort est en jeu, voici le moment de
frémir, bonnes gens.
Un jeune Allemand, Ernst Erich
Nothliste Otto
), et Noth part pour les USA en 1941. Il revient en Europe après la guerre.
dé
d’Allemagne se réfugie en Pro
vence
qui l’adopte, et à laquelle il s’atta
che
de tout son cœur : …Il lui
arrivait de rire et de plaisanter avec
eux, écrit Ernst Erich Noth, et que
tout à coup son rire se brisât quand
cette idée lui venait à l’esprit : Ils
ne savent pas que la destruction ap
proche,
ils ne savent pas que le des
tin
étend déjà la main sur eux
Mais cette main s’étend aussi sur
les peuples qui nous sauteront à la
gorge. Bourgeois de Francfort et de
Cologne, frères de Milan et de Tu
rin,
croyez-vous donc que la France
tendra l’autre jouequelqu’un te donne-t-il un soufflet sur la joue droite, tends-lui encore l’autre
.
pas pitié de vous-mêmes ? Qui que
nous soyons, Français, Anglais,
Allemands, Italiens, tout ce que
nous ferons pour la défense et la
protection des villes ouvertes, c’est
pour nous que nous le ferons —
pour nous, pour nos femmes, pour
nos fils
ment
unique auquel la prodigieuse
insensibilité de l’Europe nous per
mette
encore d’avoir recours.
Hâtons-nous, car le printemps ap
proche.
Il se presse, cette année ;
il devance son heure. Les arbustes
des jardins d’Auteuil
dissants.
Je n’aime pas cette impa
tience
de la nature, cette interven
tion
sournoise, cette complicité de
Cybèle
me méfie de cette brise trop douce,
de ce vent tiède qui sent la terre,
l’argile ; de ce souffle qui a une
odeur de destin.