NOUS vivons dans des
temps où la victime du
moment fait oublier la
victime de la veille, où
un crime chasse l’autre. Il faut
que nous sachions garder fidé-
lité
à une cause même si elle
n’est plus à l’ordre du jour. On
ne parle plus beaucoup des
Basques depuis quelque temps.
Il n’empêche que le problème
basque demeure posé, et qu’il
reste actuel, tant que l’Espagne
n’aura pas retrouvé la paix.
Aujourd’hui, nous pouvons
affirmer que dans l’univers ca-
tholique,
et d’abord en France,
les Basques ont gagné la partie
devant l’opinion. Nous ne nous
serons pas battus pour rien, et
les injures reçues ne pèsent
guère devant le résultat obtenu.
Ces jours derniers, à une pre-
mière
réunion pour constituer le
Comité international d’amis des
Basques[2][2] Cette réunion s’est tenue le 16 décembre. A partir de 1939, Mauriac présidera le Comité des intérêts généraux d’Euzkadi., la présence de l’arche-
vêque
de Paris[3][3] Le cardinal Jean Verdier (1864–1940)., de l’évêque de
Dax[4][4] Mgr Clément Mathieu, évêque d’Aire de 1931 à 1963, dont le siège épiscopal fut transféré à Dax en 1933. et d’autres personnalités
dont il ne nous appartient pas
encore de donner le nom, témoi-
gnait
que la fraternité catholi-
que,
longtemps hésitante à cause
de tant de calomnies répandues,
s’affirme maintenant sans réti-
cences
en faveur des amis fidè-
les
que possède la France sur la
frontière des Pyrénées.
Durant les dernières vacan-
ces,
en première page d’un grand
quotidien modéré comme La
Petite Gironde, une enquête très
favorable aux Basques, de M.
Pierre Dumas[5][5] Élu adjoint au maire de Tarbes en 1938, démocrate-chrétien, il fut journaliste à La Petite Gironde. Il avait suivi la guerre du Rif. Pendant la 2ème guerre mondiale, il fut tout de suite opposé à Pétain, quitta La Petite Gironde pour rejoindre le groupe Combat et fut révoqué dès novembre 1940 de son siège de maire-adjoint. Il est mort en déportation au camp de Buchenwald., a pu paraître
durant plusieurs jours sans sou-
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lever
de protestations. D’un cer-
tain
nombre d’erreurs, qui na-
guère
encore couraient la presse
française, aucun journal n’ose
plus aujourd’hui se faire l’écho.
PERSONNE n’ignore
plus en France qu’avant
la guerre civile, non
seulement aucune al-
liance
n’existait entre les catho-
liques
basques et les communis-
tes,
mais que, sur le terrain élec-
toral
comme sur celui des œu-
vres
sociales, ils demeuraient
des adversaires irréductibles. At-
taqués
par les rebelles, dès le
premier jour, les Basques se sont
trouvés à leur corps défendant
au côté des gauches espagnols,
de même qu’en septembre, une
agression de l’Allemagne nous
aurait placés, avec l’Angleterre
conservatrice, dans le même
camp que les Soviets[6][6] Singulière prémonition, qui explique l’absence de réticence qu’aura Mauriac à s’engager dans la Résistance aux côtés des communistes..
Aucun catholique n’ignore
plus que l’obéissance au pouvoir
établi, au pouvoir légal, fût-il
le pire, demeure la règle de
l’Église, et que seule la passion
politique pouvait faire un crime
aux catholiques basques d’avoir
refusé de se révolter. Même si
l’on considère que l’état intérieur
de l’Espagne rendait légitime le
soulèvement militaire et l’appel
à l’étranger, même dans cette
hypothèse, aucune loi divine ni
humaine n’obligeait en cons-
cience
les Basques à prendre
parti contre le gouvernement
officiel de Madrid auprès duquel
étaient accrédités les ambassa-
deurs
du monde entier[7][7] Mauriac revient sans arrêt sur ce point de morale et de droit.. Les
rebelles, et non les fidèles, ont
à se défendre et à présenter
leurs arguments. Nous admet-
tons
que ces arguments méritent
d’être considérés. Mais ce que
nous n’admettons pas, c’est que
les Basques aient commis un
crime en voulant demeurer hors
du conflit.
D’ailleurs, par quel miracle
eussent-ils pu se résoudre à sou-
tenir
les ennemis de leurs liber-
tés ?
Au moment d’obtenir de
la République l’autonomie dans
le cadre de la nation espagnole,
leurs aspirations allaient être
satisfaites[8][8] Cela n’allait pas sans difficultés (cf. « Pour le peuple basque » in Le Figaro du 17 juin 1937).. Il était inhumain
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d’attendre d’eux et stupide d’es-
pérer
qu’ils mettraient leurs
forces au service de ceux qui
souhaitent d’anéantir ces liber-
tés
auxquelles ils tiennent plus
qu’à leur vie. Aucun Français
raisonnable ne croit plus aujour-
d’hui
qu’on pouvait raisonnable-
ment
attendre d’eux une telle
attitude. Pas plus d’un peuple
que d’un individu, nous ne sau-
rions
exiger qu’il se trahisse lui-
même.
ET sans doute on objec-
tera
qu’ils ont tout
perdu, qu’ils ont été
écrasés. Défaite qui
n’est qu’apparente. Les Basques
l’ont tout de même emporté. Ils
ne furent jamais si près de
la victoire. Le gouvernement
d’Euzkadi réside à Paris[9][9] Présidé par José Antonio Aguirre, il s’était d’abord réfugié en Catalogne, puis à la fin de la guerre, à Paris. et ce
n’est pas un gouvernement fan-
tôme
car il s’occupe des milliers
et des milliers de Basques de
tout âge et de toutes conditions
qui ont franchi les frontières ;
il veille sur des milliers d’en-
fants.
Des amitiés fidèles les entou-
rent
dans le monde entier. La
hiérarchie catholique, un mo-
ment
influencée par les manifes-
tes
passionnés d’une partie de
l’épiscopat espagnol trop en-
gagé
dans la guerre civile, ne
traite plus son peuple fidèle en
suspect. Nous savons que le
Père commun les porte aujour-
d’hui
dans son cœur et que
l’archevêque de Paris se tient à
leurs côtés. Quelle que soit l’is-
sue
de la guerre civile, personne
ne doute plus que le vainqueur
ne fondera rien de durable sans
rendre aux Basques leurs liber-
tés.
Quant à nous, nous sommes
assuré qu’en soutenant cette
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cause, c’est la France que nous
avons servie. Elle a besoin, sa
sécurité exige que sur la fron-
tière
des Pyrénées les forces
allemandes et italiennes, plus ou
moins camouflées, cèdent la
place aux possesseurs légitimes,
dont les frères sont Français —
peuple petit, sans doute, mais
tout de même le plus fort de
l’Espagne, le plus pur de race,
le plus riche non seulement en
esprit, mais aussi matérielle-
ment :
l’Euzkadi produisait, à
la veille de la guerre civile,
soixante pour cent du fer de la
Péninsule ; il frétait la moitié
des bateaux battant pavillon es-
pagnol,
il fournissait plus d’un
quart des comptes courants de
la Banque d’Espagne.
L’ÉGLISE basque dirigée
par un clergé social
dévoué aux œuvres po-
pulaires,
opposait au
communisme cette justice, cette
charité, cet amour qui sont les
seules armes efficaces du chré-
tien[10][10] Mauriac était très attaché à cette vision d’un Pays basque (il faut noter que dans cet article « bilan » au titre paradoxal il donne une réa lité au Pays basque en lui donnant son nom en Euskara : Euskadi, qu’il écrit Euzkadi) laboratoire du catholicisme social..
Nous sommes en droit d’af-
firmer
aujourd’hui que c’est
dans la mesure exacte où les
provinces basques auront recon-
quis
leurs libertés que l’Espagne
retrouvera la paix véritable. Ces
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libertés seront la pierre de tou-
che
che d’un bon gouvernement, de
même que leur suppression
serait le signe d’un pays livré
à la force, c’est-à-dire condamné
à de nouvelles et interminables
convulsions. Le rétablissement
de l’Euzkadi dans ses droits
marquera enfin l’entrée de l’Es-
pagne
pagne dans la paix.