Je voudrais revenir sur une ré-
flexion
trop amère de mon dernier
billet[2][2] C’est-à-dire le billet intitulé « Linge sale » , consacré à Bernard Faÿ. : s’il est vrai que « je ne me
fais plus guère d’illusions sur les
hommes » , il est vrai aussi qu’à
l’âge où me voilà parvenu, la
preuve qui vaut surtout pour moi,
le témoignage en faveur de la vé-
rité
chrétienne dont je me sens le
plus frappé, c’est la présence visi-
ble
de la Grâce dans certaines
âmes. Peut-être suis-je mieux
placé que beaucoup d’hommes
pour en juger, à cause de la diver-
sité
des êtres avec lesquels j’entre
en rapport.
Souvent, le soir, je prends cons-
cience
des contradictions de ma
vie en rapprochant les noms et les
visages des personnes que j’ai vues
dans la journée. J’avance sur la
ligne de partage des eaux, de par-
tage
des âmes. L’inégalité sociale,
si frappante, dans le monde visi-
ble,
qu’est-elle donc au prix de
l’inégalité dans le monde spiri-
tuel ?
Quelquefois, l’homme « arri-
vé » ,
plein de soucis matériels, de
projets, possédé tout entier par son
œuvre profane — trop profane hé-
las ! —
écoute le jeune homme ou
l’assistante sociale assise en face de
lui, et qui le croit peut-être indif-
férent
ou lointain. Non, il est atten-
tif
au contraire, moins sans doute
aux propos tenus, qu’à leur source
très cachée, mais qu’il entend sour-
dre
sous chaque parole, à ce feu
tout intérieur, mais dont chaque
mot est comme embrasé.
« Si quelqu’un m’aime, il gar-
dera
ma parole, et mon Père l’ai-
mera,
et nous viendrons à lui, et
nous ferons en lui notre demeure[3][3] Parole du Christ (Jn, 14, 23). » .
Vous avez beau dire : cela tombe
sous le sens qu’il existe des taber-
nacles
vivants, et que parfois, au
cours d’une conversation, sans re-
muer
les lèvres, nous soyons obligés
d’adorer la présence visible de
Dieu dans un homme.