Publication information
Facsimile available online from BnF Gallica
Le mot de Sainte-Beuve
dans l’article qu’il consacra à mes premiers
vers
, Mûrir, tout est là. On pourrit par
, m’a, depuis lors, toujours poursuivi.
places, on durcit à d’autres, on ne mûrit
pasMûrir, mûrir ! disait Sainte-Beuve, on durcit à certaines places, on pourrit à d’autres : on ne mûrit pas.
C’est la 17e des Pensées
que l’on trouve vers la fin de Charles-Augustin Sainte-Beuve, à de certaines places
dans l’original.
Et maintenant, ayant dépassé l’âge que Barrès
avait en 1910Durcisse
Sur un seul point, il
ment ?
Pourriture ?
m’est possible de me rassurer : je me sens
aujourd’hui moins injuste envers les vivants
et envers les morts que je n’étais à vingt ans.
J’y songeais, ces jours-ci, à la lecture de cet
admirable
Henriette Psichari
L’espèce de monstre que se faisait ma jeu
nesse,
l’éléphant sournois et paterne qu’irri
taient
les insolences du jeune M. Barrès, est
devenu à mes yeux cet adolescent ivre de
lecture, trimbalant les collégiens d’un internat
aux Champs-Élysées, et dont l’un de ces petits
sut émouvoir le cœur : Ce petit enfant a fait
On voudrait
plus d’effet sur moi que dix volumes de philo
sophie…
Tout ce qui est doux, simple et pur
me touche au fond du cœur …
savoir ce que fut la vie de ce petit enfant…
Quand je pensais à RenanLe Voyage avec Renan
publié dans
n’évoquais jamais un jeune homme très
pauvre et très obscur, dont le débat intérieur
allait devenir le drame de toute une époque.
Dans ce journal mêmeDans Le Temps…
(
(les plus mérités) de Paul SoudayDeux néophytes
dans Deux néophytes
,
dès 1910Ah ! que ce faux bonhomme de Renan nous ennuie
qui se poursuivait par : Nous avons peine à croire qu’il ait pu enchanter ses disciples, au point que les derniers d’entre eux, prisonniers de leur esprit critique, s’essayent vainement à des affirmations
est empruntée à un article de Mauriac intitulé Enquête sur la jeunesse (I) : La jeunesse littéraire
, publié dans la
enquête : Que ce faux bonhomme de Renan
Vingt-sept ans après, je dé
nous ennuie !
couvre
qu’il n’est pas une ligne de ses papiers
intimes qui ne corresponde à des sentiments
que j’ai éprouvés, à des angoisses que j’ai con
nues,
à des tentations contre lesquelles je me
suis débattu.
Pour le chrétien, le drame de Renan est
celui d’un homme que l’amour de la vérité
sépare de la vérité. Les questions basses ne
l’ont pas éloigné de Dieu. Jamais les vertus
chrétiennes ne lui furent un fardeau, et,
presque jusqu’à la fin, sa vie demeura fru
gale.
De l’Église catholique il eût accepté
d’un même cœur l’ascèse et la mystique, —
de ce cœur qui ne cessa jamais d’être sensible
à Dieu. Pour des raisons de philologie
renoncé Celui que son amour voyait, entendait,
touchaitCe qui était dès le commencement, ce que nous avons entendu, ce que nous avons vu de nos yeux, ce que nous avons contemplé, ce que nos mains ont touché du Verbe de vie […]
(1 Dieu est quelqu’un à qui on parle
(vu
, entendu
, touché
.
psaume, à l’attribution du Pentateuque, il eut
le malheur de lier son espérance en cet
amour qui a renouvelé la face de la terre et de nos
pauvres cœurs.
En réalité, il ne nie pas que cet amour existe.
Hégélien
la science lui découvre (comme il s’en per
suade)
que cette empreinte laissée en lui par
un Etre qu’il a adoré, et dont le nom seul le
fait frémir encore, n’a aucune signification, ne
prouve rien contre le néant, il n’essaie pas
d’effacer l’empreinte et, sans rien décider, il
enseigne à sa fille : Immortalité… Impossi
bilité
de ne pas y croire. Crois-y. N’écoute rien,
même si on te cite des phrases de moi.
Nous le savons : du point de vue chrétien,
la convoitise de l’esprit paraît aussi redoutable
que celle de la chairCar tout ce qui est dans le monde — la convoitise de la chair, la convoitise des yeux et l’orgueil de la richesse — vient non du Père mais du monde.
fleuve de lave mortelleMalheureuse la terre de malédiction que ces trois fleuves de feu embrasent plutôt qu’ils n’arrosent !
éloigné de la simplicité de ma jeunesse, qui
me faisait damner les gens avec cette allé
gresse
dont un splendide poème de Claudel
nous proposait l’exempleMagnificat
, la troisième de ces odes, le poète s’adresse ainsi à Dieu : Ne me perdez point avec les Voltaire, et les Renan, et les Michelet, et les Hugo, et tous les autres infâmes !
Voir Paul Claudel, Bibliothèque de la Pléiade
, Gallimard, 1957, p. 261.
ments
de Dieu sur chacun de nous en parti
culier,
c’est le mystère même de la miséri
corde.
Il n’est pas défendu au chrétien d’es
sayer
d’imaginer, dans une destinée, la faille
par où la miséricorde s’introduira
que chez Renan ce fut cet attachement à ce
qu’il croyait être la vérité (comme chez Gide
aujourd’hui la sincérité totale, l’amour des
pauvres, le détachement).
Quelqu’un ayant dit un jour, au hasard
d’une conversation, devant une personne
pieuse, qu’après tout nous ne savions pas ce
que Dieu pensait des protestants, fut inter
rompu
par un : Moi, je le sais !
qui d’abord
le fit sourire. Mais, à la réflexion, il reconnut
que lui-même et presque tous les chrétiens des
diverses confessions partageaient cet état d’es
prit,
s’ils ne le manifestaient pas toujours avec
la même candeur. Non, justement, nous ne sa
vons
pas. Un théologien a le droit d’affirmer
qu’il sait comment Dieu juge une hérésie, non
comment il juge ceux qui professent cette héré
sie.
J’ai connu des êtres qui, au bord de la
mort, se raidissaient contre l’appel d’une joie
qu’ils eussent été capables de ressentir, mais à
laquelle leur esprit n’adhérait pas. Était-ce par
scrupule qu’ils disaient : non
? Était-ce par
orgueil ou dureté de cœur ? Si c’était par scru
pule,
Dieu peut-être l’aimait.
Vérité à outrance. Vérité à tout prix !
Ce
cri que poussait le petit Renan au séminaire est
encore celui du vieillard illustre dont les
attitudes impressionnaientLa réponse de Mauriac à la même enquête [c’est-à-dire
.Enquête sur la jeunesse (I) : La jeunesse littéraire
désignait déjà Jules Lemaître et Anatole France comme des disciples de Renan prisonniers de leur esprit critique
et s’essayant vainement à des affirmations
France
siècle,
divisé contre lui-même, oppose à ces
renards une image de lui-même qui le trahit.
Ce sourire de vieux sceptique égrillard ca
lomnie
son âme d’enfant où Dieu règne encore,
son cœur de séminariste, indélébilement mar
qué
du nom de Jésus.
Vérité à outrance.
Quel aveu ! La vérité
ne peut pas être outrée ; mais les conjectures
de la critique historiqueVérité
… Oui, au prix même de la vérité.
à tout prix
Et maintenant, demeurons attentifs à la
plainte incessante de son agonie : Ayez pitié
Lui qui avait dit un jour :
de moi !Je
, il répétait :
prierai au moment de ma mort, nous prions
sans cesse sans nous en douter
Ayez pitié de moi !
Et peut-être déjà, dans
la pensée de Dieu, un petit garçon de six ans,
Ernest Psichari
le mal que son grand-père avait faitLe Dieu auquel Renan renonça ne renonça pas à Renan
.
sans doute, mais aussi pour lui rendre témoi
gnage,
et comme un signe visible de la com
passion
du Père pour ceux qui le cherchent.
Le Dieu auquel Renan renonça ne renonça pas
à Renan. Il est demeuré avec lui et avec toute
sa race qui a été bénie.