Coupez un arbre vivant, la sou-
che
se hérisse de rejets : Sept a
disparu en pleine vie : Temps Pré-
sent
naît, gonflé de la même sève[1][1] Hebdomadaire créé en 1934 et dirigé principalement par les pères dominicains Bernadot et Boisselot qui entendait analyser l’actualité par le prisme du regard chrétien. On compte aussi dans l’équipe dirigeante, entre autres, Daniel-Rops, Pierre-Henri Simon, Jacques Madaule et parmi les collaborateurs Maurice Schumann, Étienne Gilson, Louis Massignon, Georges Bernanos et Mauriac. Le tirage de Sept oscillait entre 50 et 60 000 exemplaires. Appartenant à la nébuleuse intellectuelle démocrate-chrétienne, l’hebdomadaire inquiéta les catholiques conservateurs. Alerté, le Saint-Siège mit un terme à cette expérience journalistique à l’automne 1937. Sept fut alors remplacé par Temps présent dont la direction ne fut plus assurée par des religieux, mais par Stanislas Fumet tandis que l’équipe des collaborateurs resta quasiment la même..
Si un journal n’était qu’une feuille
de papier imprimé, il n’aurait pas
de peine à mourir. Mais il y avait
dans Sept beaucoup plus que Sept.
Il excitait plus de haine et plus
d’amour qu’on n’aurait pu l’atten-
dre
d’un hebdomadaire aussi mo-
deste[2][2] Le tirage de Sept ne fut pas si « modeste » . Esprit avait 1500 abonnés en 1936. Quant à la presse quotidienne, en 1936, Le Figaro tirait à 49 600 exemplaires (dont environ 19 000 abonnements), Le Temps à 73 500 (dont environ 37 000 abonnements) et L’Action française à 71 700 (dont environ 14 000 abonnements). ;
et il est remarquable que
Temps Présent, avant même d’avoir
paru, a subi de rudes attaques. Au
milieu des difficultés qui nous as-
saillaient,
nous nous disions : « Il
existe déjà, puisque déjà on le haït
et on l’aime ! » et nous reprenions
confiance.
La vérité est gênante. Elle ne le
fut jamais plus qu’aujourd’hui
pour certains intérêts puissants.
Que de fois m’a-t-on glissé à
l’oreille : « Il y a des choses qu’il
vaut mieux ne pas dire, même si
elles sont vraies » . C’est le jour où
Sept a été abattu que j’ai mesuré
la place qu’il occupait : aux cris
de joie qui saluaient sa dispari-
tion,
plus peut-être qu’à la dou-
leur
et au désarroi de tant d’âmes.
Oui, ce jour-là, j’ai compris.
Nous dirons ici quelquefois, li-
brement
et sans engager personne,
de ces choses qu’il vaudrait peut-
être
mieux taire, quoi qu’elles
soient vraies. Nous savons mainte-
nant
que la vérité est entendue,
même dans un petit journal à pe-
tit tirage. Une seule vérité répétée
chaque semaine, dans un coin et à
voix presque basse, déconcerte le
mensonge aux mille voix ; une vé-
rité toute simple, comme par
exemple : le Christ est mort pour
tous, il appartient à tous.
En rédigeant ce billet hebdoma-
daire,
je penserai beaucoup moins
à ceux qui nous haïssent qu’à ceux
qui nous aiment. J’écrirai pour ap-
porter
dans la mesure de mes for-
ces
un sujet de réflexion au vi-
caire
à l’étudiant à l’instituteur,
au Jociste[3][3] C’est ainsi qu’on appelait un membre de la Jeunesse ouvrière chrétienne (JOC). qui me liront ; pour leur
apporter quelque chose qu’ils
m’auront donné eux-mêmes, car
j’ai tellement plus à recevoir qu’à
donner ! C’est de cet échange que
vivra notre journal et non de ces
échanges d’injures dont il ne sort
rien.
Ce rejet peut devenir un grand Sept n’était concevable qu’avec les Dominicains dont
la présence et la direction rendaient possible la formule
typique selon laquelle s’y articulaient le temporel et le
religieux. Temps Présent est un journal laïque, dirigé et
compose par des laïques, complètement indépendant de
tout Ordre religieux. C’est donc un nouveau journal que
nous présentons au public. Il sera servi aux abonnés de
Sept. Il prend la suite de Sept, mais comme une individualité
succède à une autre individualité. C’est dire que
nous avons un besoin d’autant plus grand de la confiance
et du dévouement de ceux qui se sont donnés de tout leur
cœur à l’œuvre qui a précédé la nôtre. C’est dire aussi que,
libres de toute amertume et de tout ressentiment, nous
sommes dans les conditions qui conviennent le mieux pour
sauvegarder l’essentiel de cette œuvre, et pour avoir la
chance d’éviter le retour de certaines préventions et de certains
malentendus, comme d’élargir notre champ d’action. Tous les catholiques sont un dans l’Église. Nous savons
qu’il serait vain — c’est la rançon de la transcendance du
Corps mystique — de vouloir transporter cette unité toute
religieuse sur le terrain des choses humaines et des luttes
politiques. Les catholiques français ne se laisseront jamais
politiquement mettre au pas. Trop souvent on leur a dit,
à droite comme à gauche, à gauche comme à droite
et cela contre le gré de la hiérarchie —, que pour être
vraiment catholiques ils devaient penser et agir selon les
vœux et les intérêts d’un parti. A prétendre leur imposer
des réflexes de droite au nom de l’ordre chrétien, ou des
réflexes de gauche au nom de la conscience chrétienne, on
n’arrivera jamais qu’à les irriter et les diviser davantage.
Il reste que la division n’est pas bonne en soi, et encore
moins les ressentiments et les haines ; et qu’en dehors
même des cas où l’Église elle-même rassemble ses fidèles
pour des campagnes de défense religieuse, et où s’impose
la loi de l’effort commun, il est évidemment souhaitable
que s’établisse entre eux une union aussi large que possible :
et avant tout une union de mutuelle charité. C’est
patiemment et par des voies elles-mêmes chrétiennes, c’est
en faisant appel à l’intelligence et à la liberté que l’on favorisera
le mieux les progrès d’une telle union. Nous croyons
qu’un périodique dont le programme s’inspire principalement
de la liberté catholique est apte à contribuer pour
sa part à ces progrès.
arbre, je le crois, parce qu’il
pousse des racines dans des milliers
de jeunes cœurs, dans ce qu’il y a
de plus humble, de plus héroïque,
de plus pur, parmi les catholiques
de France[4][4] L’article se termine ici dans Temps présent, mais la version donnée dans les Mémoires politiques ajoute les deux paragraphes suivants, empruntés à la « Profession de foi » collective (signée « Temps présent » ) qui domine la une de ce premier numéro du journal :
Le fait que Mauriac s’approprie cet extrait de « Profession de foi » dans ses Mémoires politiques comme s’il faisait partie de la version originale du « Rejet » laisse penser qu’il a lui-même participé à la rédaction de cet éditorial collectif. J.-J. Hueber précise : « Après l’interdiction de Sept par le Vatican, Claude Bourdet, par l’intermédiaire de François Mauriac, a demandé à Louis Gillet, ainsi qu’à d’autres personnalités catholiques, de signer « une profession de foi » . Celle-ci occupa la première page du premier numéro de Temps présent, avec l’éditorial de Mauriac » (CGD-FM, p. 80)..