Œuvre journalistique de François Mauriac 1937-1938

Questions brillantes

Vendredi 9 septembre 1938
Temps présent

Page 1

BILLET

Questions brillantes[1][1] Article non repris dans son intégralité, bien qu’un extrait soit publié dans Claude Mauriac, Le Temps immobile, 2 : Les Espaces imaginaires, Grasset, 1975, p. 73. Le titre de l’article tel qu’il paraît dans Temps présent est bien « Questions brillantes » , mais il s’agit d’une coquille ; le manuscrit (conservé à la Bibliothèque municipale de Bordeaux) confirme le véritable titre : « Questions brûlantes » .

par François MAURIAC.

L’écrivain téméraire qui touche
aux questions brûlantes perd vite
toute espérance de susciter des ré-
ponses loyales. Il est presque sans
exemple qu’un contradicteur ne
défigure pas sciemment votre pen-
sée : il lui suffit de triompher du
simulacre qu’il en présente à son
public. Dans ces débats de la poli-
tique européenne où il serait
d’un intérêt si vif de confronter
des points de vue adverses, tout se
ramène à des attaques personnelles
menées avec plus ou moins d’es-
prit et de perfidie.

C’est que les opinions de la plu-
part des hommes sont en réalité
des passions, et que les débats de
presse ressemblent à un écran où la
guerre civile est projetée.

Qui d’entre nous, d’ailleurs, ose-
rait se dire exempt de toute fai-
blesse sur cet article ? J’ai moi-
même sujet de battre ma coulpe :
la formidable volée de bois vert
que Mussolini, par le truchement
du Popolo d’Italia, vient d’adminis-
trer à ses adorateurs français, le
mépris dont il accable nos hommes
de droite, ce reproche qu’il leur
adresse d’avoir détourné du fascis-

--- nouvelle colonne ---

me la France de gauche, « la seule
qui, à un moment donné, aurait
pu le comprendre[2][2] Citation d’un article intitulé « Une curieuse réponse italienne au Figaro » , paru en première page du Figaro du 27 août 1938, dans lequel le journal parisien reproduit la réponse parue dans Le Popolo d’Italia (journal fondé par Mussolini) à un article que Wladimir d’Ormesson (éditorialiste du Figaro) avait publié sur les rapports franco-italiens. Dans cette réponse italienne, intitulée « Ni la droite, ni la gauche (Ni l’une ni l’autre) » en français, on lit le paragraphe suivant :
« Nous ne disons pas une chose nouvelle si nous affirmons que cette. France nationale et nationaliste qui chemine avec la tête tournée en arrière comme certains damnés de Dante, est encore moins indiquée pour comprendre la nouvelle Italie des Faisceaux et des Corporations que la France de gauche, la fameùse « gôche » . L’impuissante sympathie de ces gens de droite nous a seulement empêchés d’être compris de la. France de gauche qui était peut-être la seule qui pouvait, à un moment donné, comprendre le fascisme. »
» , ce coup de
botte dictatorial m’a, je l’avoue,
tenu tout un jour dans une joie qui
n’était pas spécifiquement chré-
tienne.

Aussi suis-je résolu à ne pas ré-
pondre aux injures et appels de
pied de quelques gentils garçons
encore tout pantelants de la râclée
mussolinienne. Car je le ferais sans
charité, et donc sans profit pour
personne.

Mais à mon heure et sur le ter-
rain que j’aurai choisi, je tenterai,
un jour, un examen de conscience
politique[3][3] Une trentaine d’années plus tard, la Préface aux Mémoires politiques (Grasset, 1967 ; in JMP, p. 655-683) constituera le meilleur exemple de cet « examen de conscience politique » . : il faudra remonter très
haut, jusqu’à ce jeune père que je
n’ai pas connu qui, en 1870, si-
gnait ses lettres : Jean-Paul Mau-
riac, soldat de la République[4][4] Jean-Paul Mauriac (1850-1887) avait des sympathies républicaines, alors que son épouse était une catholique beaucoup plus traditionnelle. ;
jusqu’au stupide collégien anti-
dreyfusard et antisémite que j’é-
tais à douze ans, jusqu’à l’adoles-
cent bourgeois qui rôdait autour
du Sillon[5][5] Mouvement politique et religieux fondé par Paul Renaudin en 1894, le Sillon connut un développement important à partir de 1899 quand le charismatique Marc Sangnier en devint le directeur. Sous l’impulsion de son frère Jean, le jeune Mauriac fréquentait les milieux sillonnistes bordelais en 1905-1906, contribuant ses premiers écrits (poèmes et articles) aux organes du movement., jusqu’à l’homme naïf
que, hier encore, au moment de
l’affaire Prince et du 6 Février[6][6] Le 20 février 1934 le corps d’Albert Prince a été retrouvé déchiqueté sur une voie ferrée près de Dijon. Il était chargé de rédiger un rapport sur Alexandre Stavisky. Ce dernier, poursuivi pour escroquerie et très lié aux milieux de la politique et de la justice, avait été retrouvé mort le 7 janvier 1934. Les manifestations engendrées par ces scandales aboutirent aux émeutes du 6 février 1934. Pour la reaction à laquelle Mauriac fait ici allusion, cf. son article « L’Heure des ténèbres » , L’Écho de Paris, 4 mars 1934, p. 1.,
une certaine presse faisait « mar-
cher » .



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