La Question d’argent

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François Mauriac La Question d’argent Temps présent 1 1937-11-26 Paris Temps présent

Vendredi 26 novembre 1937 Temps présent BILLET LA QUESTION D’ARGENTArticle non repris. Par François MAURIAC.

Jules RenardJules Renard (1864-1910), surtout connu pour son roman autobiographique Poil de carotte (Flammarion, 1894). observait méchamment que toutes les religions se ressemblent par la quête Le 20 février 1896, Renard note dans son journal : Hier, au temple israélite de la rue de la Victoire. Froid, froid, et bien fatigant à la longue, et peu hygiénique, cette habitude de garder son chapeau sur la tête. Blum souriait, souriait trop… Il y avait des gens qui semblaient garnis de furoncles. La Revue blanche faisait de l’esprit collectif… Toutes les religions se ressemblent par la quête. Voir Jules Renard, Journal, 1887-1910, édition présentée et annotée par Henry Bouillier, Collection Bouquins, R. Laffont, 1990, p. 255.. C’est aux souscriptions qu’ils sont obligés d’ouvrir, que se reconnaissent tous les journaux libres. La richesse de nos lecteurs, comme le Royaume auquel ils aspirent, n’est pas de ce mondeCf. les paroles de Jésus : Mon royaume n’est pas de ce monde (Jn, 18, 36).. Et pourtant il faut que leur journal vive.

Nos amis n’ont pas eu de mal à reconnaître dans Temps Présent le symbole même de leur foi et de leur espérance. Il ne faut donc pas que les raisons économiques nous assassinent froidementRappelons que Mauriac a donné son billet hebdomadaire gratuitement à Temps présent..

Personne, dans l’équipe de Temps Présent, ne cherche son intérêt ; ou plutôt nous avons tous un intérêt commun ; durer, vivre, c’est-à-dire progresser, nous étendre en profondeur dans ces couches du public populaire jamais atteintes par la presse catholique.

A chacun de nous de voir ce qu’il peut faire. Mais disons-nous que nous avons entre les mains notre salut ou notre mort. Nous n’avons rien à attendre des hommes d’argent : nous ne serons jamais une affaire intéressante à leurs yeux. Il se pourrait d’ailleurs qu’ils aient tort : je veux dire qu’une place existe pour un grand hebdomadaire catholique rédigé par des laïcs en dehors de tous les partis ; oui, Temps Présent est trop petit pour la place qu’il occupe ; il dépend de notre générosité a tous que ce grain de sénevé devienne le grand arbre où les oiseux du ciel feront leur nidAllusion à la parabole du Christ : Le Royaume des Cieux est semblable à un grain de sénévé qu’un homme a pris et semé dans son champ. C’est bien la plus petite de toutes les graines, mais, quand il a poussé, c’est la plus grande des plantes potagères, qui deveint même un arbre, au point que les oiseaux du ciel viennent s’abriter dans ses branches (Mt, 13, 31-32)..

Pourquoi les actions de Temps Présent ne deviendraient-elles pas de bonnes actions dans les deux sens du terme ? Mon Dieu ! j’ai l’air de m’adresser à votre cupidité… alors que je sais bien qu’il n’y a rien à attendre de vous, sinon cette magnificence des pauvres, cette prodigalité sublime de ceux qui ne vivent pas pour l’argent.