Œuvre journalistique de François Mauriac 1937-1938

La Question d’argent

Vendredi 26 novembre 1937
Temps présent

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BILLET

LA QUESTION D’ARGENT[1][1] Article non repris.

Par François MAURIAC.

Jules Renard[2][2] Jules Renard (1864-1910), surtout connu pour son roman autobiographique Poil de carotte (Flammarion, 1894). observait méchamment que toutes les religions se ressemblent par la quête[3][3] Le 20 février 1896, Renard note dans son journal : « Hier, au temple israélite de la rue de la Victoire. Froid, froid, et bien fatigant à la longue, et peu hygiénique, cette habitude de garder son chapeau sur la tête. Blum souriait, souriait trop… Il y avait des gens qui semblaient garnis de furoncles. La Revue blanche faisait de l’esprit collectif… Toutes les religions se ressemblent par la quête. » Voir Jules Renard, Journal, 1887-1910, édition présentée et annotée par Henry Bouillier, Collection « Bouquins » , R. Laffont, 1990, p. 255.. C’est aux souscriptions qu’ils sont obligés d’ouvrir, que se reconnaissent tous les journaux libres. La richesse de nos lecteurs, comme le Royaume auquel ils aspirent, n’est pas de ce monde[4][4] Cf. les paroles de Jésus : « Mon royaume n’est pas de ce monde » (Jn, 18, 36).. Et pourtant il faut que leur journal vive.

Nos amis n’ont pas eu de mal à reconnaître dans Temps Présent le symbole même de leur foi et de leur espérance. Il ne faut donc pas que les « raisons économiques » nous assassinent froidement[5][5] Rappelons que Mauriac a donné son billet hebdomadaire gratuitement à Temps présent..

Personne, dans l’équipe de Temps Présent, ne cherche son intérêt ; ou plutôt nous avons tous un intérêt commun ; durer, vivre, c’est-à-dire progresser, nous étendre en profondeur dans ces couches du public populaire jamais atteintes par la presse catholique.

A chacun de nous de voir ce qu’il peut faire. Mais disons-nous que nous avons entre les mains notre salut ou notre mort. Nous n’avons rien à attendre des hommes d’argent : nous ne serons jamais une affaire intéressante à leurs yeux. Il se pourrait d’ailleurs qu’ils aient tort : je veux dire qu’une place existe pour un grand hebdomadaire catholique rédigé par des laïcs en dehors de tous les partis ; oui, Temps Présent est trop petit pour la place qu’il occupe ; il dépend de notre générosité a tous que ce grain de sénevé devienne le grand arbre où les oiseux du ciel feront leur nid[6][6] Allusion à la parabole du Christ : « Le Royaume des Cieux est semblable à un grain de sénévé qu’un homme a pris et semé dans son champ. C’est bien la plus petite de toutes les graines, mais, quand il a poussé, c’est la plus grande des plantes potagères, qui deveint même un arbre, au point que les oiseaux du ciel viennent s’abriter dans ses branches » (Mt, 13, 31-32)..

Pourquoi les « actions » de Temps Présent ne deviendraient-elles pas de bonnes « actions » dans les deux sens du terme ? Mon Dieu ! j’ai l’air de m’adresser à votre cupidité… alors que je sais bien qu’il n’y a rien à attendre de vous, sinon cette magnificence des pauvres, cette prodigalité sublime de ceux qui ne vivent pas pour l’argent.



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