Œuvre journalistique de François Mauriac 1937-1938

La Prière à Suresnes

Vendredi 1er juillet 1938
Temps présent

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BILLET

LA PRIERE A SURESNES

par François MAURIAC.

Les Parisiens savent-ils qu’il existe
à Suresnes (cité-jardins[1][1] La cité-jardin de Suresnes (commune située dans les Hauts-de-Seine) fut construite entre 1921 et 1939 à l’initiative d’Henri Sellier, maire de Suresnes et président de l’Office public d’habitations à bon marché de la Seine. L’OPHBM développa une quinzaine de cités autour de Paris dans la période de l’entre-deux-guerres afin de faciliter le décongestionnement de la capitale.), dans la
banlieue rouge, sur la place de
la Paix, une église dédiée à Notre-
Dame-de-la-Paix[2][2] Cette église fut consacrée et ouverte au culte en 1934. ?

Dimanche, 3 juillet, de nombreux
pèlerins y entendront la messe de
neuf heures pour supplier la Mère
de Dieu et des hommes d’écarter de
nous la menace atroce[3][3] Mauriac participe à ce pèlerinage (cf. l’article « Pèlerinage de Notre-Dame de la paix à Suresnes » , La Croix, 5 juillet 1938, p. 2) organisé par « Les amis de Notre-Dame de la paix » , le « Sillon catholique » , les amis de Temps présent, les Compagnons de Saint-François, les Routiers de France, les groupes « Chrétienté » , l’Union des secrétaires et dactylographes catholiques, de la JECF, de la JOCF et d’ « Unité » . Parmi les autres participants, le père Maydieu et Daniel-Rops.. Ils l’implore-
ront plus spécialement pour les peu-
ples en proie à la guerre.

Mais la guerre, c’est le mal — et
le mal est l’œuvre des hommes.
Pour qu’elle embrase le monde en-
tier, il faut d’abord que le Christ
soit vaincu (en apparence vaincu),
en Allemagne. Notre sort, le sort de
nos enfants dépend de ce grand
duel engagé au centre de l’Europe.

Il faut reconnaître ce mérite au
chancelier Hitler : il ne cherche pas
de faux fuyants : il ne feint pas, com-
me dans d’autres pays[4][4] Mauriac pense sans doute à la situation en Espagne., de créer une
alliance monstrueuse entre la haine
et l’amour, entre le crime et le
Christ. Il sait et il proclame que la
religion de l’Évangile et la religion
de la race sont incompatibles[5][5] Selon des interlocuteurs comme Hermann Rauschning (Hitler m’a dit : confidences du Führer sur son plan de conquête du monde, Coopération, 1939) et Martin Bormann (Adolf Hitler, Libres propos sur la guerre et la paix recueillis sur l’ordre de Martin Bormann, Flammarion, 1952) Hitler aurait tenu des propos allant dans ce sens dans des conversations privées.
Dans son encyclique Mit brennender Sorge de mars 1937, le pape Pie XI s’était exprimé ainsi : « Quiconque prend la race, ou le peuple, ou l’État, […] et les divinise par un culte idolâtrique, celui-là renverse et fausse l’ordre des choses créé et ordonné par Dieu : celui-là est loin de la vraie foi en Dieu et d’une conception de la vie répondant à cette foi. »
.

Et voici que cette France laïque,
cette France de 1938, si méprisée
par certains de ses enfants, rede-
vient le soldat de Dieu. C’est nous
encore, en ce vieux royaume de la
Vierge[6][6] Allusion au fait qu’en 1638 Louis XIII plaça le Royaume de France sous la protection de la Vierge Marie., que nous le voulions ou
non, malgré nos communistes et nos
radicaux, malgré nos instituteurs et
nos francs-maçons, malgré nos Juifs

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et malgré nos métèques, c’est nous
encore et toujours qui savons garder
la Raison et la Foi.

En pleine France réelle, à Sures-
nes, dimanche à 9 heures, les amis
de Temps Présent retrouveront d’au-
tres groupements aux pieds de la
Vierge — non comme des phari-
siens qui se flattent d’être plus pa-
cifiques et plus doux que les autres
(nous portons tous en nous le même
levain de haine et de violence) —
mais comme des chrétiens qui
n’ignorent pas que lorsque le Christ
dit qu’Il est la vie[7][7] Jésus déclare : « Je suis le Chemin, la Vérité et la Vie » » (Jn, 14, 6)., cela doit s’enten-
dre à la lettre, et qu’à mesure que
son règne décroît, l’ombre de la
mort s’allonge sur la terre.

Le racisme ne déteste pas seule-
ment dans le Christ ce sang répandu
pour tout homme, quelle que soit la
couleur de sa peau ; il exècre par-
dessus tout cette puissance qu’Il dé-
tient, pour affaiblir dans les jeunes
cœurs l’instinct de domination, gé-
nérateur de la guerre.

Pour nous, nous savons qu’il est
une autre domination, d’autres con-
quêtes et d’autres victoires propo-
sées à la jeunesse de l’homme —
nous savons ce que dissimule de fai-
blesse le dressage des générations
nouvelles[8][8] Les Jeunesses hitlériennes, par exemple, fondées en 1922. dans certains pays. Nous
demanderons, dimanche, à la Vierge
de Suresnes qu’elle obtienne pour
nous ce don de force si nécessaire
à ceux qui ont résolu de défendre
la Paix[9][9] La menace sur la paix se faisait sentir en Tchécoslovaquie. Dès le mois de mai, la concentration de troupes allemandes en Saxe avait conduit le gouvernement de Prague à mobiliser. La France était l’alliée de la Tchécoslovaquie : la crise commençait à poindre. Elle serait plus aiguë à partir de septembre..



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