Les Pierres ont crié

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François Mauriac Les Pierres ont crié Temps présent 1 1938-07-15 Paris Temps présent

Vendredi 15 juillet 1938 Temps présent BILLET LES PIERRES ONT CRIÉLe titre fait allusion à la parole du Christ : Je vous le dis, si eux se taisent, les pierres crieront. (Lc, 19, 40). par François MAURIAC.

Dimanche, à Reims, la France a pris conscience de sa mission. Le légat du PapeLe légat papal Eugène Pacelli, qui quelques mois plus tard deviendrait le Pape Pie XII, rendit visite à Reims pour l’inauguration de la restauration de la cathédrale (8-10 juillet 1938), sévèrement endommagée par le bombardement du 19 septembre 1914. Les travaux de restauration furent confiés à l’architecte rémois Henri Deneux. La cathédrale ressuscitée fut inaugurée par l’archevêque de Reims, le cardinal Suhard, en présence du président de la République Albert Lebrun. n’a eu qu’à définir la vocation de la France chrétienne dans le monde pour interpréter les sentiments de tous les Français qui ont gardé la foi dans leur patrie : La France, a-t-il dit, a été constituée messagère de liberté, source de paix. Mais où est donc cette liberté ? Le cardinal légat la désigne d’un mot : La primauté de la personne humaineLe futur pape, en voyant la primauté de l’homme comme l’élément commun des traditions humanitaires et spirituelles de la France, se rapprochait de l’idée que se faisait déjà Mauriac de la fusion de ces deux identités. La défense de l’homme contre les régimes totalitaires serait au centre de l’écriture de Mauriac pendant la guerre, et notamment dans Le Cahier noir..

Nous ne désespérons pas d’une nation chargée de défendre, comme le proclamait encore l’archevêque de Reims, ce que saint Paul appelle la loi de l’esprit qui doit libérer l’homme de toute servitudeVoir Rom, 8, 2 : La loi de l’esprit qui donne la vie dans le Christ Jésus t’a affranchi de la loi du péché et de la mort.. Ainsi donnait-il un démenti à cette campagne de démission poursuivie sournoisement dans une partie de la presse française.

Car c’est au rôle qui est confié que nous jugeons de l’importance d’un protagoniste. Quand on découvre ce qui repose, aujourd’hui, entre les mains de la France, quand ce dépôt sacréLa sacralité de la mission française dans le monde, base de la pensée patriotique de Mauriac, vient couronner la défense des valeurs nationales promue par lui tout au long de cette année 1938. apparaît à tous les yeux, il n’est plus possible de douter d’elle, ni de ce qui lui reste encore à accomplir.

Mais qui ne voit qu’en face des manifestations spectaculaires de Berlin et de Rome, la démocratie française n’a pas assez souvent l’occasion de prendre conscience d’elle-même et de son rôle providentiel ?

Les lieux sacrés de l’Église de France et les grands souvenirs qui s’y rattachent devraient être plus souvent le rendez-vous proposé à tous ceux qui croient que la Nation à laquelle ils appartiennent est toujours la grande NationSelon Littré ce nom fut d’abord donné à la France républicaine. Las Cases écrit de son côté : L’Empereur disait alors avoir été celui qui le premier avait salué la France du nom de grande nation (Le Mémorial de Sainte Hélène, Bibliothèque de la Pléiade, Gallimard, 1948, p. 412)..

En montrant cette force-là, qui est toute spirituelle, nous assurerons la Paix. Car ce qui se dresse entre la guerre et nous, la dernière barrière qui nous sépare de cette horreur, c’est le doute, c’est l’hésitation du chancelier allemand et de ceux qui l’inspirent, touchant le degré de notre décadence. Ce visage humilié de la FranceCf. La France n’a qu’un visage, article du 25 février 1938. La faiblesse militaire de la France est compensée par sa grandeur spirituelle. Mauriac s’accroche désespérément à la conviction que l’exemple français garantira la paix., cette grimace que certains journaux français lui imposent, il ne la reconnaît plus. La cathédrale de Reims a tenu bon. L’unité française tiendra. La présence du chef de l’État et des ministres du Front populaire, sous ces voûtes qui ont vu Jeanne d’Arc, l’avertissent que la France, le jour où il lui sauterait à la gorge, ne serait plus qu’un corps et qu’une âme, défendue par les vivants et par les morts.