Œuvre journalistique de François Mauriac 1937-1938

Les Pierres ont crié

Vendredi 15 juillet 1938
Temps présent

Page 1

BILLET

LES PIERRES ONT CRIÉ[1][1] Le titre fait allusion à la parole du Christ : « Je vous le dis, si eux se taisent, les pierres crieront. » (Lc, 19, 40).

par François MAURIAC.

Dimanche, à Reims, la France a
pris conscience de sa mission. Le
légat du Pape[2][2] Le légat papal Eugène Pacelli, qui quelques mois plus tard deviendrait le Pape Pie XII, rendit visite à Reims pour l’inauguration de la restauration de la cathédrale (8-10 juillet 1938), sévèrement endommagée par le bombardement du 19 septembre 1914. Les travaux de restauration furent confiés à l’architecte rémois Henri Deneux. La cathédrale ressuscitée fut inaugurée par l’archevêque de Reims, le cardinal Suhard, en présence du président de la République Albert Lebrun. n’a eu qu’à définir
la vocation de la France chrétienne
dans le monde pour interpréter les
sentiments de tous les Français qui
ont gardé la foi dans leur patrie :
« La France, a-t-il dit, a été consti-
tuée messagère de liberté, source
de paix. Mais où est donc cette
liberté ? » Le cardinal légat la dé-
signe d’un mot : « La primauté de
la personne humaine[3][3] Le futur pape, en voyant la primauté de l’homme comme l’élément commun des traditions humanitaires et spirituelles de la France, se rapprochait de l’idée que se faisait déjà Mauriac de la fusion de ces deux « identités » . La défense de l’homme contre les régimes totalitaires serait au centre de l’écriture de Mauriac pendant la guerre, et notamment dans Le Cahier noir.. »

Nous ne désespérons pas d’une
nation chargée de défendre, comme
le proclamait encore l’archevêque
de Reims, « ce que saint Paul ap-
pelle la loi de l’esprit qui doit li-
bérer l’homme de toute servi-
tude[4][4] Voir Rom, 8, 2 : « La loi de l’esprit qui donne la vie dans le Christ Jésus t’a affranchi de la loi du péché et de la mort. » . » Ainsi donnait-il un démenti
à cette campagne de démission
poursuivie sournoisement dans
une partie de la presse française.

Car c’est au rôle qui est con-
fié que nous jugeons de l’impor-
tance d’un protagoniste. Quand on
découvre ce qui repose, aujour-
d’hui, entre les mains de la Fran-
ce, quand ce dépôt sacré[5][5] La sacralité de la mission française dans le monde, base de la pensée patriotique de Mauriac, vient couronner la défense des valeurs nationales promue par lui tout au long de cette année 1938. apparaît
à tous les yeux, il n’est plus possi-
ble de douter d’elle, ni de ce qui
lui reste encore à accomplir.

Mais qui ne voit qu’en face des
manifestations « spectaculaires »
--- nouvelle colonne ---

de Berlin et de Rome, la démocra-
tie française n’a pas assez souvent
l’occasion de prendre conscience
d’elle-même et de son rôle provi-
dentiel ?

Les lieux sacrés de l’Église de
France et les grands souvenirs qui
s’y rattachent devraient être plus
souvent le rendez-vous proposé à
tous ceux qui croient que la Nation
à laquelle ils appartiennent est
toujours la grande Nation[6][6] Selon Littré ce nom « fut d’abord donné à la France républicaine. » Las Cases écrit de son côté : « L’Empereur disait alors avoir été celui qui le premier avait salué la France du nom de grande nation » (Le Mémorial de Sainte Hélène, « Bibliothèque de la Pléiade » , Gallimard, 1948, p. 412)..

En montrant cette force-là, qui
est toute spirituelle, nous assure-
rons la Paix. Car ce qui se dresse
entre la guerre et nous, la dernière
barrière qui nous sépare de cette
horreur, c’est le doute, c’est l’hési-
tation du chancelier allemand et
de ceux qui l’inspirent, touchant le
degré de notre décadence. Ce vi-
sage humilié de la France[7][7] Cf. « La France n’a qu’un visage » , article du 25 février 1938. La faiblesse militaire de la France est compensée par sa grandeur spirituelle. Mauriac s’accroche désespérément à la conviction que l’exemple français garantira la paix., cette
grimace que certains journaux
français lui imposent, il ne la re-
connaît plus. La cathédrale de
Reims a tenu bon. L’unité fran-
çaise tiendra. La présence du chef
de l’État et des ministres du Front
populaire, sous ces voûtes qui ont
vu Jeanne d’Arc, l’avertissent que
la France, le jour où il lui saute-
rait à la gorge, ne serait plus qu’un
corps et qu’une âme, défendue par
les vivants et par les morts.



Date:
© les héritiers de François Mauriac (pour le texte des articles) et les auteurs (pour les notes)