Les paroles de Hitler à l’égard de
la France nous retiennent moins
que ses actes, ou plutôt c’est à
l’écart entre ses actes et ses paroles
que nous mesurons notre confiance[2][2] Mauriac se réfère ici aux assurances données par Hitler, dans des entretiens avec des journalistes français, que, dans cette période qui suivit immédiatement les accords de Munich, il ne souhaitait que la paix et les meilleures relations possibles avec la France..
Qu’y a-t-il de vrai dans ce qu’on
nous rapporte de la propagande
allemande en Alsace ? Est-il exact
que les fonds de commerce n’y res-
tent
pas longtemps à vendre et que
ce sont les Allemands qui les achè-
tent ?
Est-ce un hasard si l’édition
de Mein Kampf[3][3] Mein Kampf, livre de Hitler, exposant ses doctrines nationalistes (1925-26). La traduction française (assurée par André Calmettes) parut en 1934, contre la volonté de Hitler, chez les Nouvelles Éditions latines sous le titre Mon Combat. en vente sur les
boulevards de Paris a été expur-
gée
avec soin de toutes les mena-
ces
qui nous concernent, et même,
m’assure-t-on, d’un certain chapitre
sur le bon usage du mensonge ? Me
trompe-t-on lorsqu’on m’affirme
que telle grossière feuille antisémi-
te,
distribuée sur les mêmes boule-
vards,
est traduite mot pour mot de
l’allemand et que les traducteurs
ne sont même pas de chez nous[4][4] La propagande allemande en France dans ces mois post-munichois fut dirigée par l’agent allemand « francophile » Otto Abetz. Des journalistes français — et même des journaux ! — furent achetés par des promesses de publication en Allemagne. Le quotidien ouvertement fasciste de Doriot, La Liberté, fut subventionné directement par Berlin. Les traductions de livres allemands en France (et de livres français en Allemagne) firent partie de ce trafic. Voir François Goguel, La Politique des partis sous la Troisième République, Seuil, 1958. ?
Il n’existe pas de désastres irré-
parables
en politique extérieure. La
seule victoire allemande qui nous
--- nouvelle colonne ---
paraisse mortelle, c’est celle que le
nazisme cherche à obtenir sur l’es-
prit
français. Ici, ce qui est en jeu
dépasse infiniment la France elle-
même.
Nous ne saurions trop le
répéter : que nous le voulions ou
non et quels que soient nos fau-
tes,
nos manquements, nos trahi-
sons,
nous n’en demeurons pas
moins, en face du nazisme triom-
phant,
les dépositaires d’un trésor,
d’une perle sans prix, que nous ca-
chons
comme le petit Tarcisius
pressait contre sa poitrine les Sain-
tes
Espèces[5][5] Tarcisius, « cet enfant […] qui traverse l’Église primitive avec l’eucharistie contre sa poitrine, et qui préfère mourir plutôt que de livrer ce Dieu qu’il porte caché sous sa tunique » (Mauriac, La Pierre d’achoppement, Éditions du Rocher, 1951, in OA, p. 332) fut un martyr du troisième siècle, connu uniquement par une inscription du Pape Damase I et par un roman historique en anglais, Fabiola or the Church in the Catacombs, écrit par le Cardinal Wiseman en 1854. Sa fête se célèbre le 15 août, mais parce que cette date est aussi celle de l’Assomption, Tarcisius n’est pas mentionné dans le Calendrier romain général, mais seulement dans la Martyrologie romaine. Mauriac utilise la même histoire dans BN, IV, 316..
Et si quelques-uns jugent que
c’est faire trop d’honneur à une
vieille nation coupable et humiliée
que de la comparer à un enfant très
pur et qui meurt pour ne pas livrer
son Dieu, je répondrai que le vrai
visage et le vrai cœur des nations,
c’est le visage et le cœur de leur
jeunesse, — et qu’en France ce sont
des mains pures qui tiennent forte-
ment
la perle sans prix et qui la ser-
rent
contre un cœur où Dieu est
vivant.