Œuvre journalistique de François Mauriac 1937-1938

La Paix du Christ

Vendredi 4 novembre 1938
Temps présent

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BILLET

La Paix du Christ

par François MAURIAC.

La Paix est un état de l’âme et
ceux dont dépend le sort du mon-
de n’ont pas la Paix en eux. C’est
ce qui nous rend pessimiste, en dé-
pit de toutes les affirmations et de
toutes les promesses. Le monde est
soumis aux lois d’une violence ru-
sée, mais qui se démasque devant
les faibles ; ce sont les Éthiopiens,
les Espagnols, les Tchèques, les
Chinois et les Juifs[1][1] François Mauriac dresse ici la liste des peuples agressés et persécutés par les nationalismes de l’époque. L’Éthiopie fut envahie par l’Italie fasciste en octobre 1935 et fut annexée en mai 1936. Les Espagnols connaissent une guerre civile opposant républicains et franquistes depuis juillet 1936. Les Tchèques ont dû céder les Sudètes à l’Allemagne après les accords de Munich signés en septembre 1938. Les Chinois ont subi l’invasion japonaise en Manchourie dès 1931 et perdent cette province que le Japon annexe en 1932 ; en 1937, Tokyo lance une nouvelle offensive contre la Chine. Enfin, les juifs connaissent, en Allemagne, des persécutions qui vont crescendo depuis l’arrivée de Hitler au pouvoir. La « Nuit de cristal » a lieu quelques jours seulement après la publication de cet article. qui nous ren-
seignent exactement sur la volonté
de paix dont sont possédés les maî-
tres de la terre. Eux seuls peuvent
nous en donner la mesure vraie.

La loi de l’homme, non soumis
au Christ, ou dont la doctrine n’est
pas issue de l’Évangile, est la con-
quête, l’écrasement du faible. Que
nous le voulions ou non, l’Allema-
gne illustre cette vérité dans chacun
de ses gestes. Elle a besoin de con-
quérir pour vivre, vous le voyez

--- nouvelle colonne ---

bien ; les économistes vous le prou-
vent avec des chiffres.

En dépit de toutes leurs rapines
et de tous leurs crimes, les démo-
craties reconnaissent au contraire
que l’ordre de la Charité[2][2] Réminiscence pascalienne (Pensées, B.793, L.308) : « Tous les corps, le firmament, les étoiles, la terre, et les Royaumes ne valent pas le moindre des esprits ; car il connaît tout cela, et soi-même ; et le corps rien. Et tous les corps et tous les esprits ensemble, et toutes leurs productions ne valent pas le moindre mouvement de charité ; car elle est d’un ordre infiniment plus élevé. » existe ;
elles pèchent contre cet ordre,
mais elles ne le renient pas et la
Paix demeure pour elles une espé-
rance passionnée.

La guerre est donc dans le
monde, comme elle sera jusqu’au
dernier jour, entre ceux qui croient
en l’ordre de la Charité, et ceux
qui le méprisent et se glorifient de
la puissance de leur poing.

Être pour la Paix, c’est être du
Christ[3][3] Voir Jn, 14, 27 : « Je vous laisse ma paix ; c’est ma paix que je vous donne » .. Et ceux qui sont pour la
Paix, de tout leur cœur et de tout
leur esprit, sans connaître le
Christ, lui appartiennent à leur
insu.



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