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Depuis que les écrivains ont pris parti dans les luttes civiles, on ne peut
dire que le débat ait gagné en dignité
qu’on attendait d’eux : réflexion, mesure, esprit de justice. On dirait que
ce qu’ils musèlent, c’est la meilleure part d’eux-mêmes et qu’ils cèdent au
démon commun, à la furie collective — non par instinct, comme les autres
hommes, mais avec une froide détermination.
Et pourtant, quelle raison avons-nous d’entrer dans la bagarre, sinon
qu’il nous appartient de réussir là où les autres échouent, de dominer le
débat, de chercher et de découvrir, en toute question, le point où peuvent
se rencontrer les hommes des partis les plus divers ; en un mot de mettre
en lumière le côté humain de chaque problème ?
Plus je vieillis et plus j’ai horreur de cette déformation que chaque parti
impose à la réalité. Il se peut que l’esprit de parti soit nécessaire — ou, en
tout cas, inévitable — mais c’est notre mission propre, à nous écrivains, de
lui tenir tête ; c’est l’espèce de courage que l’on est en droit d’exiger de
nous.
Je dis bien :
adverses ; il faut s’installer sur la frontière et recevoir les balles de droite
et de gauche.
Mais la masse du peuple fidèle nous en est reconnaissante. Un article
qui déchaîne sur notre dos les injures des deux partis nous attire en même
temps un courrier nombreux d’amis inconnus qui nous encouragent et nous
bénissent.
C’est un grand malheur que l’injure soit devenue un genre littéraire, et
que l’écrivain qui se décide à l’action politique ait d’abord à subir cette
tentation : acquérir le renom de grand et redoutable polémiste… un polémiste est amusant jusqu’à la vingtième année, tolérable jusqu’à la trentième, assommant vers la cinquantaine, et obscène au-delà
(Georges Bernanos, Bibliothèque de la Pléiade
, Gallimard, 1971, p. 371). Mauriac sera dans les années 60 sur une autre ligne : La polémique est-elle ou non un genre littéraire ? Elle l’est bien sûr.
Voir son article Pour un nouveau départ
,
Qu’il ne cède pas à cette facilité ; un écrivain véridique fait moins de
bruit qu’un forcené et qu’un fort-en-gueule ; mais il agit en profondeur ;
l’esprit de parti enlève toute portée à la plupart des articles qui s’écrivent
chaque jour. C’est la vérité qui est redoutable et qui déconcerte l’adver
saire…
C’est elle que nous cherchons à atteindre ici ; nous nous trompons par
fois,
nous ne sommes pas infaillibles, bien sûr mais en dehors des catégo
ries
ni droite-ni gauche
est spécifique à la démocratie chrétienne, notamment au Parti démocrate populaire, créé en 1924.
que nous croyons être vrai.
Et c’est pourquoi
soucieux de servir sans trahir, des artistes pour qui le beau est la splendeur
du vraiDu beau dans la nature et dans l’art
, jamais Platon n’a rien dit de semblable
(
L’esprit de finessel’un de pénétrer vivement et profondément les conséquences des principes, et c’est là l’esprit de justesse [ou
voir clair là où les autres tâtonnent ; car nous ne vivons pas dans un temps
où le combat met aux prises les bons contre les méchants, l’enfer contre le
ciel, dans une vaste fresque naïveLe Pharisien malgré lui
: … la conjonction de Hitler et de Staline détruit l’équivoque, fait régner l’ordre et […] l’histoire que nous vivons ressemble au jugement dernier sur le tympan d’une cathédrale : les boucs soviético-nazis à gauche, et à droite les démocraties bénies
.
blement
mêlés et enchevêtrés : chaque camp a son lot de criminels et de
martyrs ; le mal a ses saints et ses héros comme le bien a ses profiteurs ; et
nous avons nous-mêmes souvent beaucoup de peine à ne pas confondre
notre intérêt temporel avec l’intérêt de la justice. Il n’a jamais été plus
facile de se duper soi-même. La seule raison d’être des écrivains, et surtout
des écrivains catholiques, au milieu des luttes civiles, c’est leur lucidité ;
le seul mérite dont ils se puissent prévaloir, c’est d’y voir plus clair que les
autres, c’est de raisonner plus juste, c’est de déjouer, dans leur propre intel
ligence
et dans leur propre cœur, les ruses de l’esprit de parti.