Œuvre journalistique de François Mauriac 1937-1938

[Mermoz]

Samedi 16 janvier 1937[][] Numéro spécial (8 pages au total) consacré à la mémoire de Jean Mermoz, disparu quelques semaines avant. Dans un encadré à droite de l’article de Mauriac, on lit ceci: « Que ces pages consacrées à Mermoz apportent aux pilotes, aux mécaniciens, aux ingénieurs aéronautiques, l’expression de notre douleur, de notre foi, de notre espoir. L’aviation, école d’héroïsme, a la mission sublime et quotidienne de rapprocher les peuples, d’établir entre eux des rapports incessants ; la seule ligne Dakar-Natal a, du point de vue économique et diplomatique, obtenu en peu d’années des résultats éblouissants qui feront l’objet d’un article spécial. C’est à ce rôle pacificateur, c’est à cet enrichissement spirituel et matériel de la Nation que nous avons voulu rendre hommage en célébrant son plus pur serviteur : Jean Mermoz. LA ROCQUE. »

Le colonel François de la Rocque (1885–1946) fut directeur du Flambeau et ancien président des Croix-de-Feu, une des ligues nationalistes dissoutes par le Front populaire le 18 juin 1936. Suite à cette dissolution, La Rocque avait créé le Parti social français (PSF) le 7 juillet 1936.

Le Flambeau

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[MERMOZ[1][1] Article repris dans la nouvelle édition de Jean Mermoz, Mes vols, notes de Bernard Marck, Flammarion, 2001, p. 210.]

« … Une civilisation qui ne devrait servir qu’au progrès humain » [2][2] La citation est tirée du 3e chapitre de Jean Mermoz, Mes vols, Flammarion, 1937, p. 33 : « Que de définitions morales et sociales représente maintenant une traversée de l’Atlantique Sud… Un symbole d’émulation dans un champ d’action aéronautique international, une école d’énergie où les sublimes aspirations d’une civilisation qui ne devrait servir qu’un [sic] progrès humain se confondent avec l’esprit de conquête pacifique dans l’amour-propre national. » Le texte de ce chapitre (intitulé « Les Débuts de la ligne Atlantique-Sud » ) fut d’abord publié dans Le Flambeau des 4 avril et 25 juillet 1936, mais le passage en question fut largement remanié pour la publication en volume ; l’original se lit comme suit : « il [ « mon éternel sujet de la ligne France-Amérique du Sud » qui est « un merveilleux exemple d’action commune » ] représente aussi, dans une époque où s’accumulent sans cesse les mille lâchetés quotidiennes et les éternels et pénibles renoncements, une source d’amour-propre et de dignité nationale et cela contre la volonté même de la plupart de nos dirigeants politiques qui se sont acharnés sans cesse contre cette œuvre, laquelle a toujours eu à leurs yeux le défaut d’être française... simplement. » ( « Les Puissances d’exemple : sous la présidence du Lt-Colonel de la Rocque nous avons entendu le 30 mars, à la salle Wagram, un magnifique expose de Jean Mermoz sur la Ligne France-Amérique du Sud » , Le Flambeau, 4 avril 1936, p. 1, p. 5 (p. 1)). MERMOZ[3][3] Né en 1901, l’aviateur Jean Mermoz (surnommé « l’Archange » ) mourut le 7 décembre 1936 dans un accident d’avion survenu alors qu’il traversait l’Atlantique Sud. Ce fut un voyage qu’il avait effectué plus d’une vingtaine de fois depuis sa première traversée de l’océan en mai 1930 (partant de Saint-Louis au Sénégal et atterrissant à Natal au Brésil). Ce vol triomphal incita la Compagnie générale aéropostale à établir une liaison directe entre la France et l’Amérique du Sud. Sur le plan politique, en 1935 Mermoz devint membre des Volontaires Nationaux, association créée en octobre 1933 par les Croix-de-Feu pour ceux qui avaient été trop jeunes pour participer à la guerre de 14–18. Lors de l’assemblée constitutive du Parti social français le 12 juillet 1936, salle Wagram à Paris, Mermoz, qui venait de traverser l’Atlantique une nouvelle fois, prit la parole pour saluer en la personne du colonel de La Rocque l’incarnation du chef idéal : « Voyez-vous, moi, j’ai la mystique du Chef. Je ne connais que le Chef. Un chef d’équipage à bord est le maître après Dieu. En France, nous crevons du manque de chef, et, quand nous en avons un, nous passons notre temps à le critiquer et à le juger. […] Eh bien, moi, je suivrai toujours le Chef, qui saura attendre son heure. J’ai trouvé ce chef, je le garde » (discours repris sous le titre « Mermoz nous parle… le Chef » , Le Flambeau, 16 janvier 1937, p. 8). Suite à ce vibrant hommage, Mermoz devint vice-président du PSF..

« Il n’y a pas de plus grand amour que de donner sa vie[4][4] Jn, 15, 13.… » J’ai toujours cru que la valeur réelle d’un homme se mesurait au pouvoir de se donner. Je ne dis pas : au goût du risque. Des garçons risquent tout, souvent, par manque d’imagination, par vanité, par bêtise.

Un Mermoz, lui, connaît le prix de cette vie qu’il sacrifie. Il ne cherche pas la mort, il se prémunit contre elle dans la mesure où sa téméraire tentative le lui permet. Mais il ne tient plus compte de sa menace, une fois les précautions prises, et il part…

L’aviation, qui a élargi jusqu’aux étoiles l’empire de la Mort et qui trouble parfois avec des mitrailleuses le silence éternel des espaces infinis[5][5] « Le silence éternel de ces espaces infinis m’effraie » , Pascal, Pensées, B.206, L.201., a devant Dieu une excuse, une magnifique raison d’être : c’est d’avoir ouvert une route nouvelle à cette impatience de se dépasser soi-même qui fait toute la grandeur de sa créature — et quand une Nation est près de douter d’elle-même, c’est de lui susciter un Mermoz en qui elle reconnaît sa vertu la plus haute, sa vocation de Fille de Dieu[6][6] Pour Mermoz, l’aviation avait une dimension spirituelle et représentait un modèle d’unité et de travail d’équipe. François Pernot estime que l’aviateur était motivé par un « personnalisme athée » (voir François Pernot, « Deux Aspects méconnus de la vie de Jean Mermoz : l’aviateur militaire et l’homme politique » , Revue historique des armées, 197 (1994), p. 88–97 (p. 94), cité par Sean Kennedy, « The Croix de Feu, the Parti Social Français, and the Politics of Aviation, 1931–1939 » , French Historical Studies, t. 23, no 2 (printemps 2000), 373–99 (p. 384))..

FRANÇOIS MAURIAC de l’Académie Française.


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