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chacun reconnaîtra dans les jeunes héros de Bruno Gay-Lussac la nostal
gie
dont il fut atteint aux heures de son adolescence. Édouard est à cet
âge où la pureté fait dans le cœur étonné sa première apparition parce
que l’impureté est pour la première fois aussi éveillée.
seulement la beauté de son enfance. La vie lui semble laide ou règnent les
deux seuls mystères dont son enfance comblée était défendue : celui de la
banalité et celui du mal. Et voici le premier amour, notre aventure à
tous, qui recrée le charme oublié en l’enrichissant par surcroît d’un trou
ble
inconnu. Édouard reprend espoir, comme nous avons repris espoir,
un jour que nous n’oublierons pas : l’univers devenait à nouveau digne de
notre cœur ; renaissance miraculeuse dont nous précipita bientôt la pre
mière
souillure, une rencontre précise avec le mal, en un endroit de l’es
pace
et du temps marqué pour l’éternité.
poir
dernier. La petite fille qui, après lui avoir redonné richesse et pureté
lui a fait connaître cette déchéance nouvelle et cette pauvreté, est-elle
coupable si elle a elle-même reçu de lui une rédemption semblable suivie
d’un même enfer ?
ment,
aussi simplement qu’elle se répète dans la réalité d’âge en âge et
de cœur en cœur. Sans doute Bruno Gay-Lussac n’eût-il pas été capable
de crier aux hommes endormis ce message pathétique s’il n’avait eu dix-
neuf ans.
Un enfant aveugle se heurte à la
vie et crie : telle est l’histoire que
Bruno Gay-Lussac nous raconte. Mais
le livre d’un jeune garçon ne traite
pas forcément des troubles de l’ado
lescence,
et nous tenons d’abord à évi
ter
sur ce point toute équivoque ; la
haine, en effet, nous est connue de
certains critiques à l’égard des récits
qui prennent leur source dans le prin
temps
humain trempé de boue
.
Ce n’est pas que nous partagions ce
préjugé : tout appartient au romancier
— et tous les âges de la créature,
l’homme en herbe au même titre que
l’homme fait (qui ne l’est souvent
qu’au sens où l’on dit d’un fromage
qu’il est fait
). Une vie future en
destinée en puissance possèdent les
mêmes droits à notre attention qu’un
destin accompli étale depuis un demi-
siècle
sur son abîme, sur sa flore tou
jours
suspecte, sur sa faune souvent
immonde. Rien n’interdit à l’artiste de
préférer aux caractères fixés, aux vi
sages
immobilisés dans leur grimace
éternelle, un esprit qui se cherche, un
cœur qui s’interroge, des traits encore
indistincts où resplendissent les der
niers
rayons de l’enfance sainte.
Pourtant, ce n’est pas ici un roman
Les en
, éd. Grasset (pré
fants
aveugles
face
de François Mauriac).
écrivain adolescent. Notre auteur n’a
eu d’autre dessein que de décrire les
premiers contacts de son héros avec
les êtres, avec les choses, avec le cœur
qu’il se découvre, avec le corps qu’il
ne connaissaitne se connaissait
.
tions
fait le prix de sond’une
.
maladroite, sa sincérité aussi ; ou plu
tôt,
car sincérité prête à confusion(car
.
désir de ne rien avancer qui n’expri
me
du plus près possible ce qu’en
chaque rencontre il a ressenti.
Est-ce une raison suffisante pour
recommander un livre qui, d’ailleurs,
n’offre rien dont le lecteur nese
.
dire édifié ? Certes, je m’attends à des
reproches : Eh quoi ? c’est là tout
ce qu’un académicien catholique trou
ve
à porter aux nues ! Voilà le type
de jeune Français dont il a le front
de nous proposer l’exemple !
Confessons qu’il n’est rien de moins
exemplaire que cet enfant aveugle
dont Bruno Gay-Lussac suit pas à pas
la course errante et dont il enregis
tre
chaque tâtonnement. Aucun geste
de son héros ne mérite d’être inscrit
dans la colonne des bonnes ac
.
Mais, au risque de chagriner
tions
encore d’excellentes âmes, renouve
lons
l’aveu de notre indifférence en
ces matières : il est trop vrai que nous
nous sentons incorrigiblesincorrigible
.
qu’il ne reste guère d’espoir que nous
changions jamais : la vertu essentiel
le
de l’écrivain réside à nos yeux
dans une certaine attitude devant le
réel, faite d’honnêteté, de scrupule et
de candeur, dans l’acharnement à
creuser le roc d’un être jusqu’à la
nappe d’eau, jusqu’à la source profon
de.
Nous ignorons si beaucoup de per
sonnes
ont été ramenées à la vertu par
la lecture d’un roman peuplé de per
sonnages
vertueux. Mais nous savons
que les romanciers honnêtes c’est-à-
dire
qui n’ont d’autre souci que le vrai(c’est-à-dire qui n’ont d’autre souci que le vrai)
.
servent utilement les médecins, les
instituteurs, les prêtres, et tous ceux
qui, pour eux-mêmes, oueux-mêmes ou
.
et qui savent que le véritable amour
est lucide et couve son objet d’un
œil sans illusion.
Nous sommes assuré qu’aucun édu
cateur,
aucun directeur de jeunes
consciences, ne lira avec attention le
livre de Bruno Gay-Lussac, sansGay-Lussac sans
.
tirer un enseignement. Car c’est ici
un témoignage véridique dans une
matière où nous sommes accoutumé à
tous les mensonges.
Sur ce point, que nous nous sommes
très ingratssommes montrés ingrats
.
Proust ! Si l’on me demandait aujour
d’hui
la qualité qui me frappe en lui,
je répondrais tout d’abordrépondrais d’abord
.
pule.
Proust est à mes yeux le type
de l’auteur (au sens profond)
.
parce que dans son œuvre immense
nous aurions peine à trouver un seul
trait qui ne corresponde à une con
naissance
par le dedans. On a parfois
fait état d’un jugement que je portai
au lendemain de sa mort sur ce trou
béant laissé dans l’œuvre de Proust
par l’absence de Dieu. J’en mesure
aujourd’hui l’injustice ; maisl’injustice. Aucune négation chez lui, aucun refus ; mais
.
s’arrête son expérience, là aussi s’ar
rête
son ouvrage. Il existe entre son
œuvre et ce qui constitue pour lui le
monde connu, une rigoureuse corres
pondance.
Jamais il ne s’aventure hors
de cet univers qu’il ne lui a pas suffi
d’observer, ni même d’explorer, qu’il
a en quelque sorte absorbé et qu’il
redécouvre peu à peu, au plus secret
de son être. Ilêtre : il
.
droit que sur une création confondue
avec lui-même. Or, le Royaume de
Dieu s’étend au delà des frontières du
monde proustien. Pour les franchir, il
manque à Proust cette grâce de la
Foi, cette vertu de l’Espérance. Il le
sait et ne tente pas de forcer les bar
rages
du surnaturel. Il a le pressenti
ment
de la grâce, il sent l’eau divine
affleurer sous cette création lépreu
se,
mais, publicain, n’ose la recueillir
dans ses mains souillées.
A voir la témérité de ceux qui se
font juges des intentions de Dieu, de
amours, nou
.
demandons si l’Etre infini ne préfère
pas ce silence d’une pauvre âme qui
se croit rejetée, ou qui craint d’être
indigne, ou qui simplement se tait
parce qu’elle ne sait rien de son Créa
teur.
Je possède une lettre de Proust
qu’il m’adressait avantm’adressait un an avant
.
il exprime le désir que Francis Jam
mes
prie pour lui ; ce vœu témoigne
de la foi obscure que recouvrait son
silence.
Et pourtant, que ne se permettent
les critiques lorsqu’il s’agit de lui !
Touchant l’épisode atroce d’
cherche
du temps perdu
teuil
se livre au mal devant la photo
graphie
de son père, l’un des plus sub
tils
use de toutes les ressources de son
esprit pour nous démontrer que Proust lui-
même
se rendit coupable de cede se
.
lège
à l’égard de sa mère. Mais ce ju
ge
étourdi ne résiste pas à la tentation
de reproduire, au verso de la page où
il développe son affreux jugement
téméraire, le portrait de cette mère
qui inspira à Marcel Proust les pages
les plus pures, les plus tendres, les
plus déchirantes qu’aucun fils ait ja
mais
écrites. Ainsi l’acte dont il char
ge
Proust, le critique lui-même, à son
insu, le commet.
Si à propos des
de
.
pelait
mes
.
la recherche du temps perdu
essentielle de ce temps, c’est qu’elle
nous aide à fixer, sur le plan élevé où
il se situe, le conflit entre l’artiste et
le critique, quand celui-ci s’arroge la
mission de juger celui-là au nom du
Père qui est au ciel. Comment ne
serait-il pas vaincu, celui des deux
qui se livre, qui ne se connaît d’autre
devoir au monde que cette trahison
de soi-même par soi-même ? Et com
ment
le juge ne serait-il pas vain
queur
d’un accusé qui se glorifie d’ê
tre
son propre témoin à charge, et
qui laisse derrière lui une œuvre
d’autant plus accablante pour son au
cide
génie les derniers replis d’une
pauvre âme ?
Et pourtant, savent-ils, ces juges, ce
qu’ils nous révéleraient d’eux-mêmes,
si ausi, au
.
des inspirés, ils connaissaient cette
passion de se livrer, s’ils étaient en
proie à cette folie de l’attention, à
cette clairvoyance terrible des enfants
aux yeux crevés, aveugles pour tout
ce qui n’est pas leur propre cœur et
leur propre corps ?
Le héros de Bruno Gay-Lussac, lui,
n’a rien encore à confesser qui fasse
frémir. Il ne viole aucune loi essen
tielle.
Son mal tient tout entier dans
un refus sauvage qui, pour garder les
formes héritées d’une éducation bour
geoise,
n’en rappelle pas moins la né
gation
totale d’Arthur Rimbaud. Il
n’est pas jusqu’aux plus ordinaires
servitudes charnelles qui ne le rebu
tent
et qui ne le blessent. Un peu
d’ouate souillée, oubliée par une ser
vante
au fond d’une cuvette, le bou
leverse
au même titre que le menson
ge
de la petite fille qu’il aime. C’est
toute la vie qui le pousse à la mort.
Comme le taureau précipité des té
nèbres
du toril dans l’arène aveu
glante,
le garçon demeure immobile,
sentant derrière lui respirer toute son
enfance obscure et douce ; il ferme les
yeux pour ne pas voir ces milliers de
visages que la lumière crue rend igno
bles,
et il n’ose avancer sur ce sable
qui a bu déjà trop de jeune sang. Dès
le seuil de la vie, l’enfant aveugle crie
déjà ce qu’à son déclin répétait le
vieux Cézanne : Le monde, c’est
terrible…
Aussi terrible que soit le monde,
peut-être beaucoup de lecteurs juge
ront-ils
équitable et salutaire la gifle
que sa tante administre au héros de
cette histoire, au garçon trop sensi
ble
qui a tenté l’aventure de la mort.
J’admets qu’un soufflet bien appli
qué
suffise parfois à ramener un ado
lescent
de cette espèce à l’acceptation
de la vie simple et normale. Mais
vienne
une autre forme de la mort.
Pour un jeune homme, il est tant de
façons de mourir en demeurant vi
vant !
Le péril mortel qui guette le héros
des
réside selon nous dans cette maladie
de l’attention à soi-même
, dans
ce narcissisme que les vulgarisateurs
de Freud propagent. Le salut, ici com
me
ailleurs, est d’ordre chrétien, mais
beaucoup de non-chrétiens le connais
sent :
ce second commandement dont
le Christ nous a dit qu’il est sembla
ble
au premier, et qui est d’aimer son
prochain comme soi-même, signifie
que Narcisse, dans son éternelle con
templation,
doit chercher les autres à
travers lui-même, les atteindre au de
là
de lui-même. Il lui faut retrouver
dansretrouver, dans
.
contemplé, non seulement le prototype
divin, mais encore toutes les figures
qui le reproduisent : ces millions de
médailles humaines frappées à l’effi
gie
du même Père. Dieu et l’homme
finiront bien par être reconnaissables
dans ce pauvre cœur, objet de notre
attention passionnée, en dépit du sa
ble
qui le recouvre et du limon qui
le souille.
Les yeux s’ouvriront de l’enfant
aveugle dont Bruno Gay-Lussac nous
conte l’histoire lorsqu’ill’histoire, lorsqu’il
.
de cette vérité que commeque, comme
.
a dit de lui-même qu’il était la voie,
le chemin, nous ne valons nous aussi
que lorsque nous devenons une route
frayée vers les autres hommes. Nar
cisse
est un chemin mort qui ne mène
à personne. Notre seule raison d’exis
ter,
l’unique excuse que nous puissions
invoquer, nous, les écrivains, et notre
gloire véritable qui ne nous sera pas
enlevée, c’est, par l’analyse intérieure,
et à travers l’humain, mais sans sor
tir
de nous mêmesnous-mêmes
.
qu’à
la source éternelle, jusqu’à cet
amour qui ne passera pas.