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L’Enchantement de Racinedonnée la veille, le 17 janvier, à l’Université des Annales qui la publiera dans son journal :
Vous allez au théâtre ou au ci
néma
.
scène ou à l’écran des dames
et des messieurs habillés com
me
vous-mêmevous-même[
.
bulaire
courant, qui boivent du vrai
champagne dans de vrais verres, qui
téléphonent, allument une cigarette,
se balancent dans un fauteuil. Or, ces
personnages, qui sont votre réplique
exacte, qui appartiennent à votre
condition, qui parlent votre langue,
il est bien rare que vous les recon
naissiezreconnaissiez [
.
eux.
Les sentiments qu’ils expriment ne
vous révèlent rien sur votre propre
cœurcœur[
.
familiers. D’ailleurs, vous ne leur en
demandez pas tantpas tant [
.
manité
de théâtre, conventionnelle,
qui obéit aux lois d’une psychologie
rudimentaire, mécanique, à l’usage
des planches. Ces actrices habillées
par la couturière de votre femme, ces
acteurs vêtus d’un smoking pareil à
celui de votre époux et qui évoluent
sur une scène meublée par votre ta
pissier,
appartiennent à une race qui,
au fond, vous est aussi étrangère que
les habitants de la lune[
.
Mars ou du musée Grévin.
Or, par un phénomène contraire,
voicivoici [
.
femme qui déclare être la fille de
Minos et de Pasiphaé, qui n’hésite
pas à parler du sacré soleil dont elle
est descenduedescendue [
.
vous du fond des siècles. Il faut, pour
atteindre le palais de Trézène où elle
souffre, remonter le cours de l’his
toirel’[
.
de la Fable. Et pourtantPourtant[
.
cette fille des dieux bat au rythme
du vôtre. En dépit de ce formidable
éloignement dans le temps, Phèdre
vous est plus familière qu’aucune
héroïne contemporaine. Je dirai
plus : Phèdre est la plus moderne de
toutes, au point d’exprimer, sousd’exprimer [ ] sous
.
forme pudique, et pourtant terrible
ment
claire, ce que s’efforcent de
nous laisser entendre les écrivains
d’aujourd’hui les plus audacieux et
les plus troubles
Aujourd’hui, sous des formes di
verses
et à quelques exceptionsà [
.
le théâtre s’obstine dans ces deux
erreurs opposéessuppression : [opposées]
la copie des formes extérieures de la
vie courante ou, au contraire, les
afféteries et les enjolivures d’une
fantaisie faussement poétique rap
portée
du dehors.
J’ai appris à mes dépens, puisque
j’ai mis cette année la main à la pâte,
combien il est difficile de trouver sa
voie entre ce Charybde et ce Scyllames dépens [
.
quand on ne possède pas le génie ailé
de Giraudoux ou la puissance satiri
que
d’Édouard Bourdet, etBourdet[
.
bien la critique que j’écrirais sur ma
pièce Asmodée, si je voulais jouer au
petit jeu de me juger moi-même. Mais
je sais aussi dans quelle direction je
suis résolu à travailler, à chercher,
et de quel côté j’attends la lumière.
Ce n’est pas que j’aie la sottise de
penser que l’on doive recommencer
Racine. Mais je crois que son œuvre
nous met en défense à la fois contre
la fausse poésie et contre le faux
réalisme, en nous rappelant que la
poésie dramatique brûle au cœur
même du réel, qu’elle se dégage d’une
simple parole, d’un geste où l’être se
livre, qu’elle tient tout entière dans
le jeu des sentiments et des passions.
La seule méthode pour réconcilier
la poésie avec le théâtre, c’estIntérieur[
.
serrer du plus près possible le réel
intérieur, c’est d’atteindre à cette
forme dépouillée et nue qui livre le
cœur palpitant. Telle est la leçon de
Jean Racine. Au théâtre, on ne va
pas de la poésie au vrai, on va du
vrai à la poésie. Les recherches de
style, l’usage des symboles et de la
féerie ne créeraCréer[
.
que
attenduattendu [
.
faux et conventionnels. La poésie est
la récompense de l’auteur qui a su
transposer sur la scène et nous ren
dre
accessible le débat éternel de
l’homme divisé contre lui-mêmeDéclaration de
, Acte 2, scène 5.