Publication Information
Interview, coups de téléphone,
répétition de deux heures à six
heures, encore interview... Mainte
nant,
je suis seul. La maison, par
miracle, est silencieuse. Je me suis
quitté moi-même ce matin ; je me
cherche, ce soir, et ne me retrouve
pas. Le tumulte du monde pro
longe
en moi son écho. Je bour
donne
encore d’une rumeur faite
de mille voix. Des visages m’obsè
dent,
ceux surtout de mes inter
prètes :
ces figures pleines de lar
mes
où s’exprime une douleur ima
ginaire
que j’ai moi-même machi
née
près de moi, à un jet de pierre.
Mais comment vous atteindre à tra
vers
cette foule de créatures dont
les fantômes m’occupent encore ?
Comment vous entendre, dans ce
vacarme, Vous qui parlez bas ?
Il ne suffit pas que je le désire.
Ce serait trop simple que de vous
dire : Attendez-moi, je revien
Beaucoup ne per
drai
ce soir...
dent
pas dans le monde la certitude
de votre présence ; je le crois, je
de...
Contre la cellule invisible où
je cherche un refuge, la pression de
ma vie brillante et comblée se fait
chaque jour plus forte...
Si j’en souffre, il n’y a que demi-
mal.
Mais qu’on s’habitue vite à se
passer de Vous ! Nous sommes res
tés
des enfants, — des enfants qui
seraient libres d’être toujours en
récréation… La récréation intermi
nable
qu’est notre vie...
Ce n’est pas seulement contre les
passions de l’amour qu’il n’existe
d’autre remède que la fuite… Con
tre
la dispersion de mes journées,
la seule ressource serait de créer
des zones de silence à la campagne,
dès que ce sera possible…
Si je raconte ces choses, c’est que
j’ai dîné l’autre soir avec les amis
de
les miens, qu’il faut que je leur
écrive un billet, et que n’ayant rien
à leur donner, à la fin d’une jour
née
vide, je leur livre un peu de
ma misère.