Interview, coups de téléphone,
répétition de deux heures à six
heures, encore interview... Mainte-
nant,
je suis seul. La maison, par
miracle, est silencieuse. Je me suis
quitté moi-même ce matin ; je me
cherche, ce soir, et ne me retrouve
pas. Le tumulte du monde pro-
longe
en moi son écho. Je bour-
donne
encore d’une rumeur faite
de mille voix. Des visages m’obsè-
dent,
ceux surtout de mes inter-
prètes :
ces figures pleines de lar-
mes
où s’exprime une douleur ima-
ginaire
que j’ai moi-même machi-
née[2][2] Allusion à la pièce Asmodée représentée le 22 novembre 1937 à la Comédie-Française..
Mon Dieu, où êtes-vous ? Tout
près de moi, à un jet de pierre.
Mais comment vous atteindre à tra-
vers
cette foule de créatures dont
les fantômes m’occupent encore ?
Comment vous entendre, dans ce
vacarme, Vous qui parlez bas ?
Il ne suffit pas que je le désire.
Ce serait trop simple que de vous
dire : « Attendez-moi, je revien-
drai
ce soir... » Beaucoup ne per-
dent
pas dans le monde la certitude
de votre présence ; je le crois, je
--- nouvelle colonne ---
le sais. Mais il y a monde et mon-
de...
Contre la cellule invisible où
je cherche un refuge, la pression de
ma vie brillante et comblée se fait
chaque jour plus forte...
Si j’en souffre, il n’y a que demi-
mal.
Mais qu’on s’habitue vite à se
passer de Vous ! Nous sommes res-
tés
des enfants, — des enfants qui
seraient libres d’être toujours en
récréation… La récréation intermi-
nable
qu’est notre vie...
Ce n’est pas seulement contre les
passions de l’amour qu’il n’existe
d’autre remède que la fuite… Con-
tre
la dispersion de mes journées,
la seule ressource serait de créer
des zones de silence à la campagne,
dès que ce sera possible…
Si je raconte ces choses, c’est que
j’ai dîné l’autre soir avec les amis
de Temps présent, qui sont aussi
les miens, qu’il faut que je leur
écrive un billet, et que n’ayant rien
à leur donner, à la fin d’une jour-
née
vide, je leur livre un peu de
ma misère.