Les Jeunesses mobilisées

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François Mauriac Les Jeunesses mobilisées Temps présent 1 1938-10-14 Paris Temps présent

Vendredi 14 octobre 1938 Temps présent BILLET Les jeunesses mobilisées par François MAURIAC.

Pendant quelques semaines, l’ombre de la guerre étendueAyant duré pendant tout le mois de septembre, la crise provoquée par Hitler en exigeant l’annexion au Troisième Reich du territoire des Sudètes en Tchécoslovaquie avait menacé de déclencher une nouvelle guerre généralisée en Europe. N’oublions pas qu’en 1967, Mauriac a choisi comme titre de la toute première partie de ses Mémoires politiques L’Ombre d’Hitler s’étend sur nous. sur les hommes ne recouvrait pas seulement leurs joies ; mais aussi leurs peines : le drame secret d’une vie s’anéantit dans l’horreur universelle, et rien n’est plus étrange que le désarroi des passions lorsqu’une menace de guerre réveille tout à coup ceux qui s’y adonnent, comme des somnambules au bord d’un toit.

La guerre ajoute son horreur infinie à toutes les souffrances de la paix ; mais elle résout certains problèmes en les supprimant. Chaque homme est aujourd’hui rendu à ses difficultés particulières, à sa maladie, à son vice, à sa pauvreté, à sa solitude.

Les dictateurs savent ce qu’ils font lorsqu’ils noient l’individuel dans le collectif. L’Allemagne misérable d’après-guerre, berceau du mal de la jeunesseTraduction française du titre de la pièce de Ferdinand Bruckner, Krankheit der Jugend (1929), montée au Théâtre du Marais en 1931 par Raymond Rouleau. Selon Robert Brasillach, cette pièce avait exprimé en images amères le désarroi de l’Allemagne préhitlérienne (cité par Chantal Meyer-Plantureux, Les Enfants de Shylock, ou l’antisémitisme sur scène, Éditions Complexe, 2005, p. 248). Bruckner, de son vrai nom Theodor Tagger (1891–1958), était un dramaturge franco-autrichien d’origine juive. Il quitta l’Allemagne nazie en 1933 pour s’installer en France où sa pièce antihitlérienne Les Races connut un certain succès en 1934., mobilisa sa jeunesse pour la sauver : autodéfense d’un grand corps blessé, infecté et qui veut vivre.

Et c’est le drame actuel de l’Église que cette mainmise sur des âmes baptisées et qui lui appartiennent en droit, et dont elle a la charge, et qu’elle voit s’éloigner par milliers et par millions. Elles courent se soumettre à une discipline, à une règle dure, mais qui va dans le sens des instincts de force, d’orgueil, de joie charnelle. Crise plus redoutable que ne fut celle de la RéformeMauriac fait bien sûr allusion au vaste mouvement de contestation des pratiques l’Église Catholique et de l’autorité du pape qui, faisant son apparition dès le XVième siècle pour prendre son essor au XVIième siècle grâce à Luther, à Zwingli, à Calvin et à bien d’autres, a provoqué un schisme pour donner naissance aux églises protestantes. qui, tout de même, demeurait sur le plan surnaturel.

Les forcenés qui ont envahi, à Vienne, le palais du cardinal InnitzerLe cardinal Theodor Innitzer (1875-1955), primat d’Autriche, avait dans un premier temps approuvé l’Anschluss et même apporté son soutien au IIIe Reich. Obligé de faire marche arrière par le Pape Pie XI et son secrétaire d’État le Cardinal Pacelli (le futur Pie XII), Innitzer a proclamé dans son sermon du 7 octobre 1938 qu’il n’y avait qu’un chef, Jésus Christ. Le 8 octobre 1938, son palais épiscopal a été saccagé par des partisans zélés d’Hitler. Le rôle joué par le Cardinal Innitzer dans les années 1930 et 1940 continue de faire l’objet de vives critiques., n’avaient aucune idée de forme, mais cédaient à une haine furieuse de la seule puissance qui condamne leur religion de joie par la forceSciemment ou non, Mauriac invertit les termes de l’expression allemande KdF, Kraft durch Freude (c’est-à-dire la force à travers la joie) que les Nazis ont utilisée comme nom de l’organisation nationale de loisirs qu’ils ont mise à la place des syndicats. — puissance humainement si faible et qui est, sur la terre, crucifiée avec son Dieu.