Œuvre journalistique de François Mauriac 1937-1938

Les Jeunesses mobilisées

Vendredi 14 octobre 1938
Temps présent

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BILLET

Les jeunesses mobilisées

par François MAURIAC.

Pendant quelques semaines,
l’ombre de la guerre étendue[1][1] Ayant duré pendant tout le mois de septembre, la crise provoquée par Hitler en exigeant l’annexion au Troisième Reich du territoire des Sudètes en Tchécoslovaquie avait menacé de déclencher une nouvelle guerre généralisée en Europe. N’oublions pas qu’en 1967, Mauriac a choisi comme titre de la toute première partie de ses Mémoires politiques « L’Ombre d’Hitler s’étend sur nous » . sur
les hommes ne recouvrait pas seu-
lement leurs joies ; mais aussi leurs
peines : le drame secret d’une vie
s’anéantit dans l’horreur univer-
selle, et rien n’est plus étrange
que le désarroi des passions lors-
qu’une menace de guerre réveille
tout à coup ceux qui s’y adonnent,
comme des somnambules au bord
d’un toit.

La guerre ajoute son horreur in-
finie à toutes les souffrances de la
paix ; mais elle résout certains
problèmes en les supprimant.
Chaque homme est aujourd’hui
rendu à ses difficultés particulières,
à sa maladie, à son vice, à sa pau-
vreté, à sa solitude.

Les dictateurs savent ce qu’ils
font lorsqu’ils noient l’individuel
dans le collectif. L’Allemagne mi-
sérable d’après-guerre, berceau du
« mal de la jeunesse[2][2] Traduction française du titre de la pièce de Ferdinand Bruckner, Krankheit der Jugend (1929), montée au Théâtre du Marais en 1931 par Raymond Rouleau. Selon Robert Brasillach, cette pièce « avait exprimé en images amères le désarroi de l’Allemagne préhitlérienne » (cité par Chantal Meyer-Plantureux, Les Enfants de Shylock, ou l’antisémitisme sur scène, Éditions Complexe, 2005, p. 248). Bruckner, de son vrai nom Theodor Tagger (1891–1958), était un dramaturge franco-autrichien d’origine juive. Il quitta l’Allemagne nazie en 1933 pour s’installer en France où sa pièce antihitlérienne Les Races connut un certain succès en 1934. » , mobilisa

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sa jeunesse pour la sauver : auto-
défense d’un grand corps blessé,
infecté et qui veut vivre.

Et c’est le drame actuel de
l’Église que cette mainmise sur
des âmes baptisées et qui lui ap-
partiennent en droit, et dont elle
a la charge, et qu’elle voit s’éloi-
gner par milliers et par millions.
Elles courent se soumettre à une
discipline, à une règle dure, mais
qui va dans le sens des instincts de
force, d’orgueil, de joie charnelle.
Crise plus redoutable que ne fut
celle de la Réforme[3][3] Mauriac fait bien sûr allusion au vaste mouvement de contestation des pratiques l’Église Catholique et de l’autorité du pape qui, faisant son apparition dès le XVième siècle pour prendre son essor au XVIième siècle grâce à Luther, à Zwingli, à Calvin et à bien d’autres, a provoqué un schisme pour donner naissance aux églises protestantes. qui, tout de
même, demeurait sur le plan sur-
naturel.

Les forcenés qui ont envahi, à
Vienne, le palais du cardinal Innit-
zer[4][4] Le cardinal Theodor Innitzer (1875-1955), primat d’Autriche, avait dans un premier temps approuvé l’Anschluss et même apporté son soutien au IIIe Reich. Obligé de faire marche arrière par le Pape Pie XI et son secrétaire d’État le Cardinal Pacelli (le futur Pie XII), Innitzer a proclamé dans son sermon du 7 octobre 1938 qu’il n’y avait qu’un chef, Jésus Christ. Le 8 octobre 1938, son palais épiscopal a été saccagé par des partisans zélés d’Hitler. Le rôle joué par le Cardinal Innitzer dans les années 1930 et 1940 continue de faire l’objet de vives critiques., n’avaient aucune idée de « Ré-
forme » , mais cédaient à une haine
furieuse de la seule puissance qui
condamne leur religion de « joie
par la force[5][5] Sciemment ou non, Mauriac invertit les termes de l’expression allemande KdF, « Kraft durch Freude » (c’est-à-dire « la force à travers la joie » ) que les Nazis ont utilisée comme nom de l’organisation nationale de loisirs qu’ils ont mise à la place des syndicats. » — puissance humai-
nement si faible et qui est, sur la
terre, crucifiée avec son Dieu.



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