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L’homme qui s’appelait Jésus et
dont nous croyons qu’il était Dieu,
chacun de nous le voit, mais la vi
sion
qu’il a de Lui est personnelle
au point d’être incommunicable.
L’Église laisse ses enfants libres,
aussi bien de transfigurer en Mes
sie
glorieux le plus beau des
que d’adorer
enfants des hommesTu es beau, le plus beau des enfants des hommes, la grâce est répandue sur tes lèvres. Aussi tu es béni de Dieu à jamais.
le Nazaréen qui passait pour fou
chez ses prochesIl vient à la maison et de nouveau la foule se rassemble, au point qu’ils ne pouvaient pas même manger de pain. Et les siens, l’ayant appris, partirent pour se saisir de lui, car ils disaient :
Il a perdu le sens.
meurtrie, la face méconnaissable,
telle qu’Isaïe déjà la contemplaitQuatrième chant du Serviteur
du livre d’Isaïe où on lit, par exemple : il n’avait plus figure humaine, et son apparence n’était plus celle d’un homme
(
Nous nous représentons le Jésus
que notre nature sollicite, que
notre amour exige. Nous le re
créons,
non certes à notre image et
à notre ressemblanceDieu dit :
(Faisons l’homme à notre image, comme notre ressemblance […]
le besoin que nous avons de ne pas
perdre cœur en sa présence.
Pourtant, le Christ a réellement
vécu sur la terre et il appartient à
l’histoire. Nous devons donc ad
mettre
qu’une seule des deux tra
ditions
correspond à ce qui fut, et
que si ceux qui croient en un
Christ d’aspect noble et majestueux
ont raison, les autres se trompent
qui l’imaginent chétif et sans éclatsans beauté ni éclat pour attirer nos regards
(
Au vrai, les deux aspects du
Christ incarné trouvent l’un et l’au
tre,
dans les Évangiles, leur justi
fication.
Un fait domine le débat :
Jésus n’a pas été reconnu par le
sait
pas tellement que ses ennemis
aient hésité à le combattre. Il sem
ble
bien que ce fut par sa parole et
par ses miracles bien plus que par
son apparence ou son attitude qu’il
subjuguait la foule, et ceux qui dès
le début de sa vie publique n’ont cru
ni à ses prédictions ni à ses pro
diges,
n’ont rien discerné de divin
dans les traits de ce visage. La Sa
maritaine
dénonce d’abord en cet
étranger un Juif ordinaire, et se
moque de lui
ment
intimidés et déjà meurtriers
ne le ménagent que par la crainte
du peuple
affaire à un imposteur.
Au moment de le leur livrer,
Judas ne leur dira pas : Vous le
Il ne leur
reconnaîtrez à sa stature. Celui qui
nous domine tous de la tête et dont
la majesté éclate aux regards, c’est
lui qu’il faut saisir.
dira pas : Vous distinguerez
d’abord le Chef et le Maître…
Non, il est nécessaire qu’un d’eux
le leur désigne
dépit des torches, les soldats ne
pourraient le reconnaître au milieu
des onze pauvres Juifs qui l’en
tourent.
Mais il n’en est pas moins vrai
qu’en beaucoup de rencontres, Jé
sus,
lorsqu’il a été aimé, l’a été au
premier regard, et que souvent il
a été suivi dès la première parole
et même avant tout miracle. Il a
suffi d’un appel pour que des hom
mes
abandonnent tout ce qu’ils pos
sédaient
en ce monde et le suivent
Il fixait les êtres d’un œil irrésis
tible
dont le pouvoir, la toute-puis
sance
s’affirment, chaque fois
qu’une créature en larmes tombe à
ses genoux, dans la poussière
Dans cette opposition apparente
entre un Christ qui, par sa seule
approche, enchaîne les cœurs, et
un agitateur nazaréen méprisé des
princes des prêtres, que les sol
dats
chargés de son arrestation ne
discernent pas au milieu des disci
ples,
dans cette vision contradic
toire,
nous devons nous efforcer de
découvrir ce que fut l’apparence
humaine de Jésus.
Sans doute fut-il semblable à
beaucoup d’êtres dont la beauté,
très secrète à la fois et très écla
tante,
éblouit certains regards,
échappe à d’autres, — surtout
quand cette beauté est d’ordre spi
rituel.
Une lumière auguste sur
cette face n’était perçue que grâce
à une disposition intérieure.
Quand nous aimons, nous nous
étonnons de l’indifférence d’autrui
devant le visage qui résume pour
nous toute la splendeur du monde.
Ces traits qui reflètent le ciel et
dont le seul aspect nous rend
éperdu de joie et d’angoisse,
d’autres ne songent même pas à y
attacher leur regard. La moindre
minute vécue auprès de l’être aimé
nous est d’un prix inestimable,
alors qu’il importe peu à ses com
pagnons
ou à ses parents de vivre
sous le même toit que lui ou d’avoir
part au même travail et de respirer
l’air qu’il respire ?
Comme toute créature, Jésus se
transformait selon le cœur qui le
reflétait. Mais à ce phénomène de
l’ordre le plus naturel, la Grâce,
ici, ajoute son action imprévisible.
Alors que nous ne sommes pas li
bres
d’apparaître à autrui tels que
nous souhaiterions qu’il nous voie,
l’Homme-Dieu ne demeurait pas
seulement le maître des cœurs,
mais aussi du reflet de sa Face
dans les cœurs. Il a guéri beau
coup
plus d’aveugles-nés que
l’Évangile ne le rapporte. A cha
que
fois qu’une créature l’a appelé
son Seigneur et son DieuMon Seigneur et mon Dieu !
(
confessé qu’il était le Christ, le
Messie venu en ce monde, ce fut
parce qu’il avait lui-même ouvert
en elle cet œil intérieur dont le
regard ne s’arrête pas à l’appa
renceTu es le Christ, le Fils du Dieu vivant
, et la réponse de Jésus : Tu es heureux, Simon fils de Jonas, car cette révélation t’est venue, non de la chair et du sang, mais de mon Père qui est dans les cieux
(
Voilà pourquoi, entre tous les
peintres, Rembrandt me semble
avoir donné du Christ l’image la
plus conforme au récit évangélique.
Je pense surtout à la toile du Lou
vre
où le Dieu exténué et presque
exsangue est reconnu par les deux
disciples avec qui Il rompit le
pain, dans l’auberge d’Emmaüs
Rien de plus ordinaire que ce
visage souffrant… Il faudrait oser
dire : rien de plus commun. Et
pourtant, cet humble visage res
plendit
d’une lumière dont la
source est le Père qui est AmourDieu est Amour
(
On ne saurait être plus homme,
que ce Nazaréen de la classe pauvre,
dont les prêtres se sont tellement
moqués et qui, même avant que la
flagellation l’eût défiguré, intimi
dait
si peu le corps de garde et les
cuisines qu’il reçut un soufflet du
domestique du Grand Prêtre
pourtant, dans cette chair misé
liation
et de torture, le Dieu éclate
avec une grandeur douce et ter
rible.
Tout se passe comme si le
miracle de la Transfiguration
s’était pas accompli une seule fois
sur le Thaborhaute montagne
(Matthieu et Marc), ou la montagne
(Luc) sur laquelle Jésus, allant prier, est transfiguré. Pierre, dans sa seconde épître, parle de montagne sainte
. En fait, l’identification — que reprend ici Mauriac — émane de l’évangile apocryphe dit des Hébreux
.
velé
autant de fois qu’il plût au
Seigneur de se faire connaître de
l’une de ses créatures.
Il n’empêche qu’un homme aimé
ou non, adoré ou méprisé, possède
une certaine taille à laquelle il est
interdit d’ajouter ni de retrancher
une coudéed’ajouter une seule coudée à la longueur de sa vie
(
bossu, ses traits sont réguliers ou
difformes. Ses cheveux et ses yeux
ont une certaine couleur. Or, peut-
être
possédons-nous un document
qui, s’il est authentique, devrait
clore toute discussion touchant
l’aspect physique du Seigneur puis
qu’il
nous en fournit, à la lettre, la
photographie. Le problème soulevé
par le Saint Suaire de Turin et par
l’image d’un homme crucifié qu’on
y discerne
tence.
J’en possède les reproduc
tions
photographiques. J’ai écouté
et j’ai lu les commentaires impres
sionnants
de M. Paul Vignon
qui est à la fois un savant et un apô
tre.
Si nous acceptons pour véri
dique
cette image dont la manifes
tation,
après tant de siècles, était
réservée à notre époque, grâce à
l’une de ces découvertes dont elle
se montra si orgueilleuse, nous ne
pouvons plus nier que Jésus fut
d’une stature majestueuse et que
son visage auguste appelait l’ado
ration
plus encore peut-être que
l’amour.
L’étrange est que, par une filia
tion
mystérieuse, presque toutes les
images du Christ triomphant qu’in
ventèrent
les peintres, depuis les
premières effigies byzantines jus
qu’aux
Christs de Giotto et de l’An
gelico,
de Raphaël, du Titien ou de
Quentin Metsys, procèdent de ce
dessin mystérieux enseveli dans le
Saint Suaire et dont aucun des ar
tistes
innombrables
duisirent
ne soupçonnait l’exis
tence.
C’est bien le type humain
sur lequel tout le monde s’accorde
et qui se présente à l’esprit, quand
on dit de quelqu’un : Il a une
Et aujourd’hui
tête de Christ…
encore, la plus fade imagerie sulpi
cienne
déshonore (et son crime
n’en est que plus grand) la Face
authentique telle qu’elle apparut à
la Vierge, à Madeleine et à Jean.
C’est bien son portrait, ou plus
exactement sa caricature dont nous
détournons les yeux, en passant
devant ces vitrines. Le Fils de
l’homme ressemblait vraiment à
ces statues roses du Sacré-Cœur,
si la relique de Turin ne nous
trompe pas.
En revanche, les primitifs qui se
sont attachés à peindre le Christ
souffrant et humilié ont reproduit
cette humiliation et cette souf
france,
bien plus que le Sauveur
lui-même tel qu’il fut dans sa chair
avant sa Passion — et même tel
qu’il demeura à travers les affres
de la flagellation, du couronnement
d’épines, de la crucifixion et de
l’agonie
éclate sur le linceul même, encore
souillé de pus et de sang. La mort
la plus atroce a laissé ce corps in
tact
et les soufflets et les crachats
et le sang et les larmes ne durent
à aucun moment détruire la pureté
de cette Face incorruptible.