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Vendredi derniermercredi 4 mai. Dans la journée à Bordeaux nous apprenons par Suzanne [femme de Pierre Mauriac] que Jean Balde est morte le matin à La Tresne. Au retour nous la voyons sur son lit de mort.
compagné
au cimetière de la Tresne
la dépouille de mon amie Jean
Balde, l’auteur de la Vigne et la
Maison, du Goéland, de Reine d’Ar
bieux
nais,
ce jour-là, c’était celui de la
jeune fille que j’ai connue, qui
s’appelait Jeanne Alleman
Une grande âme — et ce n’est
pas à la légère que je la salue ainsi
— du nombre très restreint des
grandes âmes qui justifient le
monde, alors qu’une fois passé no
tre
jeunesse, tant de tristes décou
vertes
en nous et autour de nous ris
queraient
de nous faire perdre
cœur.
Toute sa vie, Jean Balde a lutté,
elle s’est débattue, elle a souffert,
elle n’a jamais désespéré, nous don
nant
jusqu’à la fin l’exemple de
tous les courages : le courage des
conquérants, et plus encore celui
des patients, acharnée à sa tâche,
indifférente à sa fatigue, portée en
avant par l’élan de son âme. Elle
est tombée vraiment quand elle
n’aurait pu faire un pas de plus.
Et nous la laissions s’épuiser. Elle
était de ces créatures qui donnent
à leurs amis l’impression qu’elles
n’ont besoin de personne, qu’elles
ont plus de force qu’eux tous.
Et il est vrai que Jean Balde était
forte. La très grande grâce qui était
le secret de cette force, elle me l’a
Toute ma vie, me disait-elle, aux
heures les plus dures, j’ai senti que
quelqu’un m’aimait, je me suis
sentie aimée… Et même mainte
nant,
ajoutait-elle, dans ces heures
atroces, qu’ai-je fait pour mériter
d’avoir encore ma mère à mon che
vet ?
Ce jour-là, elle a soupiré devant
moi : J’aimais tellement la vie !
Comment les poètes n’aimeraient-ils
pas la vie ? Le don poétique de no
tre
amie prenait sa source dans cet
amour des êtres et des choses de son
pays, dans cette adoration de la lu
mière
girondine… Mais elle savait
qu’il existe une autre lumière que
celle qu’elle voyait naître sur le châ
teau
de la Tresne.
Elle ne parlait pas volontiers le
langage de la dévotion, je ne me
rappelle pas qu’elle ait jamais cher
ché
à nous édifier. Mais les moin
dres
mots qui venaient d’elle sur
ce sujet ne nous en atteignaient que
plus profondément. Le jour du
mercredi saintJe
Et son
me répète sans cesse la parole de
Jésus crucifié au bon larron : Au
Et elle répétait :
jourd’hui
même tu seras avec moi
dans le Paradis
Le Paradis ! le Paradis !
pauvre visage ravagé était déjà bai
gné,
inondé, de cette lumière qu’elle
possède, qu’elle contemple aujour
d’hui
et à jamais.