Œuvre journalistique de François Mauriac 1937-1938

Gros-Jean

Vendredi 29 juillet 1938
Temps présent

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BILLET

GROS-JEAN[1][1] Article repris dans Journal III (in JMP, p. 205-206). Dans l’édition des Œuvres complètes (t. XI, p. 219) il est intitulé : « Gros-Jean qui en remontre à son curé » .

par François MAURIAC.

L’autre dimanche, un prédicateur commentait ces deux mots de la Salutation angélique, pleine de grâce[2][2] Cf. Lc, 1, 28 où l’ange Gabriel s’adresse ainsi à Marie : « Réjouis-toi, comblée de grâce, le Seigneur est avec toi. » : « De même que lorsqu’on dit d’un récipient qu’il est plein, cela signifie qu’on n’y pourrait faire entrer une goutte de plus, de même nous devons comprendre que la Vierge, étant pleine de grâce, avait reçu toutes les grâces possibles… »

Cependant, j’observais les fidèles. Un enfant jouait avec le chapelet de sa mère ; un autre, rivé à sa chaise comme il eût été attaché à un poteau, tournait en tout sens sa petite tête désespérée. Des jeunes gens dressaient des visages que l’absence de toute pensée faisait resplendir de cette beauté terrible qu’ils recevront un jour de la mort.

Et je songeais qu’il n’existe qu’un seul sermon possible — que le thème en soit emprunté à l’Écriture, au dogme ou à la morale, c’est de mettre en lumière la miraculeuse opportunité de la doctrine catholique pour résoudre à la fois les problèmes que pose le bref instant de l’histoire du monde où nous sommes vivants, et ceux que soulève cette autre histoire, celle qui se déroule au dedans de nous : notre drame individuel, notre secret, notre mystère.

Rien n’importe que de dresser contre les doctrines vieilles comme l’erreur, ce que Claudel appelle « l’éternelle enfance de Dieu[3][3] « J’avais eu tout à coup le sentiment déchirant de l’éternelle enfance de Dieu » , Paul Claudel, « Ma conversion » , Contacts et circonstances, in Œuvres en prose, textes établis et annotés par Jacques Petit et Charles Galpérine, « Bibliothèque de la Pléiade » , Gallimard, 1965, p. 1010. Le 28 avril 1934, Mauriac avait ainsi conclu l’article « Le Mal de jeunesse » dans L’Écho de Paris : « Je ne sais plus où j’ai lu ce mot profond « l’éternelle enfance de Dieu » » . » . Mais, très souvent, la Vérité qui nous est proposée s’anéantit dans un tel linceul de poussière qu’on souhaiterait de ne plus jamais entendre que la parole du Christ, toute nue, ou les épîtres fulgurantes…

Tout à coup, une flamme s’alluma dans les yeux des jeunes gens : la vie arrachait de leur visage le masque de la mort. C’est que le prédicateur prononçait, touchant la grâce du ciel qu’il nous souhaitait, les paroles annonciatrices de la délivrance : le sermon était fini.



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