Froid

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François Mauriac Froid Temps présent 1 1938-12-23 Paris Temps présent

Vendredi 23 décembre 1938 Temps présent BILLET Froid par François MAURIAC.

Je me souviens de mes pieds gonflés d’engelures quand j’étais enfant, de cette angoisse au petit matin lorsqu’il fallait se hâter vers la sombre rue du Mirail où j’allais en pensionMauriac ne garde guère de bons souvenir de ce passage à l’Institution Sainte-Marie de la rue du Mirail, à Bordeaux, où, dit-il la promiscuité du collège, à dix ans, me faisait souffrir… (Commencements d’une vie, Grasset, 1932, p. 29 (OA, p. 77). (et chaque pas était une souffrance). Je me rappelle ces récréations où je ne pouvais pas courir, où je pleurais de froid. Aujourd’hui, par cette température inhumaine, ces souvenirs m’inclinent à plaindre d’abord les enfants dans les cours d’asiles, les soldats dans les cours de casernes, les religieux et les religieuses dans leurs cellules, les prisonniers…

C’est par des jours pareils qu’il faut relire la prose sublime de Rimbaud : Sur les routes, par des nuits d’hiver, sans gîte, sans habits, sans pain, une voix étreignait mon cœur gelé : Faiblesse ou force : te voilà, c’est la force. Tu ne sais ni où tu vas, ni pourquoi tu vas ; entre partout, réponds à tout. On ne te tuera pas plus que su tu étais cadavre. Au matin, j’avais le regard si perdu et la contenance si morte, que ceux que j’ai rencontrés ne m’ont peut-être pas vuRimbaud, Mauvais sang, Une saison en enfer (1873)..

Pour les garçons espagnols que le général Franco et le gouvernement de NegrinJuan Negrín (1887-1956), professeur de Médecine à l’Université de Madrid, fut un militant socialiste, député aux Cortes à partir de 1931. En septembre 1936, il devint ministre des Finances dans le gouvernement de Francisco Largo Caballero à qui il succéda à partir du mois de mai 1937. jettent les uns contre les autres, comment réagissent-ils à ce nouvel ennemi, à cette atroce cruauté de la matière aussi méchante que les hommes, à ce surcroît de souffrance qui ne leur vient plus de bourreaux, mais d’un monde aveugle et sourdRéminiscence hugolienne : Je cherche, un soupirail. Quel sens peut donc avoir / Ce monde aveugle et sourd, cet édifice noir (L’Océan d’en haut II, Dieu, 1891)., indifférent à leur pauvre chair consciente et torturée ?

Puissent-ils découvrir le fleuve qui coule invisible sous ce monde glacé, un fleuve brûlant de grâcePéguy évoque un fleuve de grâce à quatre reprises au Huitième Jour de son long poème La Tapisserie de sainte Geneviève et de Jeanne d’Arc (1913). L’ajout de l’adjectif brûlant fait penser au Fleuve de feu, roman de Mauriac paru en 1922 chez Grasset., un amour. Dieu veuille que du fond des tranchées et des cachots, du fond des camps de concentration, de tous les cercles de l’enfer humain, durant la nuit de Noël, des milliers de martyrs rendent témoignage à cet amour, et se tournent vers Celui qui en est la source éternelle.