Œuvre journalistique de François Mauriac 1937-1938

Fléaux

Vendredi 22 avril 1938
Temps présent

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BILLET

FLÉAUX[1][1] Article non repris.

par François MAURIAC.

La nature est aussi redoutable
que les hommes. Ici, je ne pense
plus à la guerre, mais à la gelée et
à l’incendie. De ma terrasse[2][2] La célèbre terrasse de Malagar. Le quatrième tome du Temps immobile de Claude Mauriac s’intitule La Terrasse de Malagar (Grasset, 1977)., avec
autour de moi toutes mes vignes
que chaque aurore menace de sa
gelée blanche, j’aperçois au loin
les vagues de feu qui dévorent la
forêt à quelques kilomètres des
pins de mon enfance.

Faut-il prier pour demander la
pluie ? Mais si mes vignes ne sont
pas encore gelées, c’est grâce à la
sécheresse. Partout où il a plu, le
froid a détruit les bourgeons. Il
est vrai aussi que, sans pluie, les
incendies vont se multiplier dans
la lande — toutes les petites ré-
coltes seront perdues dont les gens
d’ici tirent leur subsistance de cha-
que jour.

Nous ignorons ce que nous de-
vons désirer[3][3] Cf. Ro, 8, 26 : « nous ne savons que demander pour prier comme il faut » .… Ainsi s’explique
cette acceptation qui, chez la plu-
part, n’est pas d’essence chrétien-

--- nouvelle colonne ---

ne : vertu toute négative, vertu
païenne que le ferment du Christ,
chez quelques-uns, rend héroïque.

Le paysan vit entouré de fléaux.
Il souffre pour cette terre qu’il
aime[4][4] Rappelons le titre de l’étude de Bernard Chochon, François Mauriac ou la passion de la terre, Archives des Lettres Modernes, no. 140, Minard, 1972. ; et menacé par le froid et
par le feu (par le feu de la terre
et par le feu du ciel), il sait que le
miracle, c’est d’obtenir en au-
tomne de quoi se nourrir pour re-
commencer la lutte contre les élé-
ments.

Notre monde intérieur, menacé
aussi par la flamme et par la glace,
lui, du moins, n’échappe-t-il pas
tout entier à notre emprise. Ici les
éléments nous sont soumis, ou du
moins demeurent sous notre rela-
tive dépendance. Et Celui qui n’in-
tervient pas visiblement pour sau-
ver nos pins des flammes, et pour
réchauffer notre vigne transie, ap-
paraît souvent sur les vagues sou-
levées de notre cœur : et le vent
s’apaise, et il se fait un grand
calme[5][5] Cf. la conclusion du récit évangélique de la tempête apaisée : « Et le vent tomba et il se fit un grand calme » (Mc, 4, 39)..



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