Œuvre journalistique de François Mauriac 1937-1938

L’Église et les sports

Vendredi 3 juin 1938
Temps présent

Page 1

BILLET

L’Église et les sports

par François MAURIAC.

Dans une édition nouvelle des
Olympiques[1][1] La première édition de cet essai de Henry de Montherlant (1895–1972) parut en deux fascicules chez Grasset (dans la série des « Cahiers verts » ) en 1924. Cf. Toby Garfitt, « Le Désert de l’amour : les Olympiques de Mauriac ? » , Cahiers de Malagar, 11 (été 1997), p. 11–27., Montherlant refuse
durement à l’Église catholique le
droit de se servir des sports pour
atteindre les jeunes gens[2][2] L’Église fut à l’origine de la création, en 1903, de la Fédération Gymnastique et Sportive des Patronages de France qui rassembla plus de sociétés et d’adhérents que l’Union des Sociétés de Gymnastique de France.. On ima-
gine avec quelle verve il la dé-
nonce comme l’ennemie du corps.

Sans entrer dans un débat où le
livre brillant du Père Poucel[3][3] Victor Poucel (1872-1953) fut ordonné prêtre en 1906. En parallèle avec son poste de professeur de rhétorique à Alexandrie, Égypte (1910-1919) puis à Avignon (1919-1930), il publiait des critiques littéraires aux Études (revue jésuite). Il y avait vivement critiqué Mauriac pour son roman Ce qui était perdu (Grasset, 1930). Voir Victor Poucel, « Le Dernier Roman de M. François Mauriac » , Études, 20 août 1930, p. 434–445. : Plai-
doyer pour le corps
[4][4] Plaidoyer pour le corps constitue le premier tome (paru en 1937 chez Plon) d’un projet en deux volumes intitulé Mystique de la terre, préfacé de Paul Claudel ; le second tome, La Parabole du monde, parut en 1940. nous serait
d’un grand secours, accordons
d’abord à Montherlant que cer-
tains sports — et, par exemple, la
boxe, le rugby[5][5] Mauriac ne prend pas ici l’exemple du football qui fut le sport dominant dans les patronages de la fin du XIXe et du début du XXe siècle. — ne sont pas natu-
rellement catholiques. Mais il
existe une vie active des jeunes
corps que le surnaturel pénètre et
baigne sans rencontrer d’obstacle.
Je pense à cette jeunesse sur les
routes de l’été, lorsque le départ,
à l’aube, est précédé de la messe et
de la communion, que la halte se
fait dans une église pauvre où
une lampe brûle et que les com-
plies
[6][6] Dernière prière de la journée. sont dites le soir devant le
dernier tabernacle rencontré.

La course en montagne, qui re-

--- nouvelle colonne ---

présente peut-être le plus grand
effort physique, s’accorde à la mé-
ditation et à la prière. Je me sou-
viens d’avoir vu, cet été, au re-
fuge Albert-1er[7][7] Refuge situé sur le massif du Mont-Blanc ; baptisé ainsi car inauguré par le roi des Belges en 1930. Mauriac a effectivement prévu de passer des vacances en montagne en 1937 (NLV, p. 180)., deux alpinistes qui
étaient partis depuis huit jours
déjà et faisaient tous les sommets
du massif, portant sur leur dos le
matériel de campement. Dans le
sac de l’un d’eux, où chaque objet
était strictement indispensable, je
vis luire la tranche dorée d’un bré-
viaire.

Si le culte du corps exige un cer-
tain ascétisme, il appartient aux
esprits religieux de donner à ces
privations, à ces refus, une portée
plus haute, il leur appartient d’as-
socier l’âme à cette discipline du
corps[8][8] Mauriac n’a pas tort en écrivant cela, mais à travers le sport, l’Église montrait aussi son influence (notamment grâce aux fêtes-concours). Il s’agissait également pour l’Église de conserver des fidèles dans la population masculine alors même que le clergé prenait conscience d’une féminisation des messalisants, des pèlerins, etc..

Montherlant sait bien que la vie
sportive, séparée de toute spiri-
tualité, crée une jeunesse brutale
et aisément asservie. Rien, sans
doute, ne donne, ici-bas, l’idée de
la perfection comme un jeune
athlète, pieux et pur[9][9] Pour une mise au point sur Mauriac et les sports, voir l’article de John Flower, « Mauriac et le sport » , Cahiers de Malagar, 7 (automne 1993), p. 39–53..



Date:
© les héritiers de François Mauriac (pour le texte des articles) et les auteurs (pour les notes)