Écrire et non parler

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François Mauriac Écrire et non parler Temps présent 1 1938-06-17 Paris Temps présent

Vendredi 17 juin 1938 Temps présent BILLET Écrire et non parlerArticle non repris. par François MAURIAC.

C’est un signe de grâce que d’aimer la solitude. Non qu’il soit jamais profitable à l’homme d’être seulCf. Gn, 2, 18 : Yahvé Dieu dit : Il n’est pas bon que l’homme soit seul. […].… Mais celui qui chérit la solitude, c’est justement parce qu’il ne s’y sent pas seul, et que Quelqu’un demeure avec lui.

Il est plus aisé de quitter la solitude que d’y revenir. D’une plongée dans le monde, notre âme remonte chargée de varechs, de coquilles vides et de sableLe vocabulaire utilisé dans cette phrase ne renvoie pas seulement au titre du recueil Plongées (paru chez Grasset en mars 1938), mais aussi à l’imagerie maritime que l’on trouve dans Les Chemins de la mer (Grasset, 1939) dont la prépublication fut contemporaine de cet article : le roman parut en préoriginale sous le titre Mamôna dans les pages de Candide du 14 avril au 7 juillet 1938.. Le film de notre soirée se déroule devant nous qui n’y pouvons plus rien changer. Nous réentendons chaque parole qui nous a échappé et que nous ne pouvons plus reprendre. Notre amour-propre saigne.

Nous avons été blessés, irrités. Des répliques nous viennent maintenant, — trop tard ! — j’aurais dû lui répondre… songeons-nous.

Il faut attendre la fin de cette agitation, la dispersion des images, l’apaisement des nerfs. Si nous étions sages nous garderions le silence dans ces débats où chacun ne songe qu’à chercher des arguments au service de sa passion, détourne à son profit le sens des mots… Surtout, lorsqu’on a la possibilité de défendre ses idées par la plume, à quoi bon parler ?

Nous nous moquons des femmes qui parlent avant de penser… Mais qui de nous n’est femme sur ce point ? Se faire dans le monde, s’exprimer dans la solitude : ce devrait être notre loi. Le soir, dans la maison endormie, devant la page que la lampe couvre de sa lumière, nous interrogeons, avant d’écrire, Quelqu’un qui est là… ou plutôt nous l’écoutons, nous essayons de recueillir, d’exprimer en langage humain cette parole à la fois perceptible et insaisissable, dont nous ne pouvons rendre qu’un écho confus. Et même, le plus souvent, rien ne subsiste dans cette prose infirme de ce souffle qui nous a traversés.

Du moins a-t-elle été écrite dans la paix et dans le silence. Elle n’est pas chargée, comme nos paroles du monde, de rage, de moquerie. C’est la respiration calme d’un esprit, si j’ose dire, que l’on y surprend, le recueillement de l’âme que la prière sépare du sommeil.