C’est un signe de grâce que
d’aimer la solitude. Non qu’il
soit jamais profitable à l’hom-
me
d’être seul[2][2] Cf. Gn, 2, 18 : « Yahvé Dieu dit : « Il n’est pas bon que l’homme soit seul. […] » . » … Mais celui qui
chérit la solitude, c’est juste-
ment
parce qu’il ne s’y sent pas
seul, et que Quelqu’un demeure
avec lui.
Il est plus aisé de quitter la
solitude que d’y revenir. D’une
plongée dans le monde, notre
âme remonte chargée de va-
rechs,
de coquilles vides et de
sable[3][3] Le vocabulaire utilisé dans cette phrase ne renvoie pas seulement au titre du recueil Plongées (paru chez Grasset en mars 1938), mais aussi à l’imagerie maritime que l’on trouve dans Les Chemins de la mer (Grasset, 1939) dont la prépublication fut contemporaine de cet article : le roman parut en préoriginale sous le titre Mamôna dans les pages de Candide du 14 avril au 7 juillet 1938.. Le film de notre soirée
se déroule devant nous qui n’y
pouvons plus rien changer.
Nous réentendons chaque pa-
role
qui nous a échappé et que
nous ne pouvons plus repren-
dre.
Notre amour-propre sai-
gne.
Nous avons été blessés, irrités.
Des répliques nous viennent
maintenant, — trop tard ! —
« j’aurais dû lui répondre… »
songeons-nous.
Il faut attendre la fin de cette
agitation, la dispersion des ima-
ges,
l’apaisement des nerfs. Si
nous étions sages nous garde-
rions
le silence dans ces débats
où chacun ne songe qu’à cher-
cher
des arguments au service
--- nouvelle colonne ---
de sa passion, détourne à son
profit le sens des mots… Surtout,
lorsqu’on a la possibilité de dé-
fendre
ses idées par la plume, à
quoi bon parler ?
Nous nous moquons des fem-
mes
qui parlent avant de pen-
ser…
Mais qui de nous n’est fem-
me
sur ce point ? Se faire dans le
monde, s’exprimer dans la soli-
tude :
ce devrait être notre loi.
Le soir, dans la maison endor-
mie,
devant la page que la lam-
pe
couvre de sa lumière, nous
interrogeons, avant d’écrire,
Quelqu’un qui est là… ou plutôt
nous l’écoutons, nous essayons
de recueillir, d’exprimer en lan-
gage
humain cette parole à la
fois perceptible et insaisissable,
dont nous ne pouvons rendre
qu’un écho confus. Et même,
le plus souvent, rien ne subsiste
dans cette prose infirme de ce
souffle qui nous a traversés.
Du moins a-t-elle été écrite
dans la paix et dans le silence.
Elle n’est pas chargée, comme
nos paroles du monde, de rage,
de moquerie. C’est la respira-
tion
calme d’un esprit, si j’ose
dire, que l’on y surprend, le re-
cueillement
de l’âme que la
prière sépare du sommeil.