Œuvre journalistique de François Mauriac 1937-1938

Deux témoignages

Vendredi 20 mai 1938
Temps présent

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BILLET

Deux témoignages

par François MAURIAC.

Deux témoignages demeurent, en-
tre tous ceux qui ont été donnés
depuis deux ans, celui de Gide
et celui de Bernanos[1][1] Mauriac renvoie à Retour de l’URSS d’André Gide (paru chez Gallimard en novembre 1936) et aux Grands Cimetières sous la lune de Georges Bernanos (parus chez Plon en avril 1938). Michel Winock consacre un chapitre à chacun de ces livres-événements dans Le Siècle des intellectuels, nouvelle édition revue et augmentée, Éditions du Seuil, 1999, p. 356–67 ( « André Gide au pays des Soviets » ) et p. 368–78 ( « Les Grands Cimetières sous la lune » )., — qui n’ont
pas reçu de réponse, qui ne seront
pas réfutés et devant lesquels l’ad-
versaire hésite entre l’insulte et le
silence.

Gide, communiste, a nié que le
régime de Staline fût le régime de
la justice. Bernanos, catholique, a
chassé le crime de cette ombre où
il s’était tapi, au pied de la Croix[2][2] Maurrassien, Bernanos rompit avec l’Action française en 1932 et condamna le nationalisme franquiste dans Les Grands Cimetières sous la lune. Mauriac, par cette image, revient sur les alliances, à ses yeux criminelles, de l’Église et de la droite ou l’extrême droite. La guerre civile espagnole est ici sous-entendue..

Et ce n’est pas un hasard que ces
deux témoignages nous viennent de
très grands écrivains.

Le talent est ennemi du menson-
ge ; ou plutôt un menteur, un ca-
lomniateur, ne saurait être ni un
véritable romancier, ni un histo-
rien véridique, ni un critique juste.
Qu’il ne puisse pas être non plus
un poète, cela va sans dire : le poè-

--- nouvelle colonne ---

te est l’homme qui voit et qui mon-
tre, au delà des apparences, ce qui
est.

La vocation d’un écrivain est
d’atteindre le vrai. Les uns le cher-
chent de tout leur cœur, les autres,
de tout leur esprit. D’autres enfin
savent concilier l’esprit et le cœur :
mais ces divergences n’empêchent
point qu’on reconnaisse au même
signe, à droite et à gauche, ceux
qui seront les maîtres.

Le menteur en politique est aussi
un menteur dans son art. L’indiffé-
rence à la souffrance des hommes ne
saura jamais peindre les hommes.

La devise « par tous les moyens[3][3] L’allusion machiavélienne est ici importante. L’œuvre de Machiavel est, selon Mauriac, inspiratrice des dictatures et des totalitarismes. Machiavel revint souvent sous sa plume dans Le Cahier noir (Éditions de Minuit, 1943) ; il est synonyme des fascismes. Il est en cela l’antithèse du christianisme et du message évangélique où « le beau et le vrai sont confondus » . »
désigne la catégorie d’individus dé-
pourvus, même sur le plan esthéti-
que, du don essentiel, qui est le
don de choisir, à la lumière de cet-
te flamme où le beau et le vrai sont
confondus.



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