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DE la brume et de l’engourdisse
ment
d’un music-hall, où j’ai été
entraîné, ce soir, une Espagnole
jaillit, la tache rouge d’un œillet
au sein. Sa danse est une sorte de
rage qui cède à la torpeur, renaît,
puis retombe. L’Espagne est-elle en
core
vivante ? Depuis plusieurs se
maines
nous ne l’entendions plus
respirer. Il ne venait d’au delà des
Pyrénées qu’une rumeur d’injures
échangées dans tous les dialectes du
monde : des races ennemies s’en
tre-tuaient
sur un cadavre… Et voici
tout à coup que la mantille som
bre
de la morte flotte au-dessus
d’un de ces spectacles où la forme
féminine, livrée aux regards, est sé
parée
de l’esprit qui la transfigu
rait.
Parmi tous ces jeunes corps
sans âme, l’Espagnole seule est pour
un soir une âme désincarnée. Absen
te
enfin de la tuerie dont elle est le
prétexte, elle a abandonné son
corps aux bourreaux ; et la voici
qui danse pour nous qui l’aimons
et la laissons mourirles erreurs de navigation
, les hypocrisies de la non-intervention ont régné en 1936 et 1937 : le Comité pour la non-intervention est créé en août 1936, la mise en œuvre du Pacte de non-intervention ne se fera que le 20 avril 1937.
Elle danse, elle danse… J’ai sur
les genoux un journal, frais impri
méLe Bombardement de Madrid
.
Dans la morgue de Chamartin de
Dans cette foule venue
la Rosa, dans le quartier de Té
touan,
cinquante corps étaient déjà
allongés à cinq heures de l’après-
midi…
pour s’enchanter de la beauté des
corps, combien sont-ils à voir que
cette jeune fille en deuil danse sur
un charnier ?
Mais ceux mêmes qui s’entre
tuent
là-bas en son nom, plaignent-
ils
l’Espagne ? Que représente-t-elle
aux yeux de ces Tudesques
Italiens, de ces Anglo-Saxons, de
ces Slaves
plus méconnu, plus dédaigné des
nations qui, sous divers vocables,
n’ont jamais adoré que la force au
service de la matière.
A Madrid, durant les derniers
jours de la monarchie, je me sou
viens
d’avoir dîné chez un Grand
d’Espagne
De son bel œil sali de bile, il obser
vait
le représentant d’une puissan
ce
étrangère qui, le verre d’alcool
à la main, parlait trop fort et dont
un rire aviné fendait la face rouge
brique : Quand je songe, me dit
l’Espagnol à mi-voix, que ces gens-
là
nous considèrent comme des sin
ges !
L’Espagne n’a jamais beaucoup
compté à leurs yeux ; mais la voici
chaque jour plus étrangère à cette
bataille des nations qui se livre sur
son corps. Elle est foulée aux pieds
des Gentils
son mystère. Ces Russes, ces Ita
liens,
ces Allemands viennent vider
dans sa maison saccagée une que
relle
qui ne la concerne pas, et son
propre martyre lui demeure une
énigme.
Des deux côtés, les chefs ont tra
fiqué
de son âme ; des deux côtés
ils l’ont livrée à des loups qui font
semblant de se manger entre eux…
Au vrai, ils se dévorent par procu
ration.
Ils jouent leur partie à des
centaines de lieues de chez eux.
Quel merveilleux champ de ma
nœuvres !
Quel champ de tir ines
péré !
Ils essaient, sur le corps pié
tiné
de l’Espagne, leurs tanks et
leurs torpilles. Ils sont bien les des
cendants
de ceux qui se servaient
de leurs esclaves pour expérimenter
des poisonsmystère
, âme
, maison saccagée
= maison de Dieu), de l’autre une cruauté temporelle que Mauriac nous fait comprendre en recourant à un vocabulaire prosaïquement militaire complété par une allusion aux mœurs antiques, les esclaves utilisés pour expérimenter les poisons.
Il est de moins en moins question
de la victime. Ce peuple espagnol,
à la fois le plus charnel et le plus
spirituel, où toute idée s’incarne
où dans les cœurs les vagues de l’a
mour
divin et de la passion humai
ple
est devenu la proie de ce qui
paraît être le plus hostile à son gé
nie :
on l’assassine au nom de sys
tèmes
qu’il ne pourrait même con
cevoir,
lui qui, au fond, n’a jamais
balancé qu’entre la sainteté et
l’anarchie, et dont la roche calcinée
sépare l’enfer du ciel. Et il jette sur
les nations rangées en cercle au
tour
de son martyre, le regard effaré
du taureau couvert de sang, qui ne
sait plus ce qu’on lui veutLe Dernier Taureau
.
Du démon auquel l’Espagne est
livrée, on ne saurait dire que la
main droite ignore ce que fait la
main gauche : les protagonistes de
cette guerre civile se doutent-ils que
dans chaque camp c’est le même
Esprit qui les meut, qui les préci
pite
les uns contre les autres ? Un
Esprit qui leur est étranger : car
l’Espagne a son démon certes, un
démon qui n’appartient qu’à elle :
cruel et triste, amoureux du sang
et de la mort, mais ce n’est pas celui
qui, depuis six mois
agonise, dévorée par un démon sor
dide
et qui n’est pas à sa mesure. Le
Maître de Moscou et de Berlin peut
bien fouler ce peuple comme une
vendange au pressoirMaître de Moscou et de Berlin
, démon de l’Espagne (cf. Titre).
sédera
jamais de l’intérieur ; il rè
gnera
sur lui par la vertu de son
poing gauche ou par la puissance de
son poing droit ; mais il ne réduira
jamais ce château
secret de l’âmeconsidérer notre âme comme un château fait tout entier d’un seul diamant ou d’un très clair cristal, où il y a beaucoup de chambres, de même qu’il y a beaucoup de demeures au ciel
.
espagnole où le drame qui se joue
dépasse celui de la distribution des
richesses, échappe aux catégories
de l’époque et rententit [sic] dans l’éter
nité.