Cruelle Espagne
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Cruelle Espagne
CRUELLE ESPAGNEArticle non repris.
BEAUCOUP d’écrivains nous racontent leurs
voyages et pourtant il n’existe pas
d’oiseau plus rare qu’un auteur qui
sache regarder, si ce n’est un auteur capable
de nous faire voir ce qu il a vu. Les Tha
raudvéridique
.
qualités. J’ai visité le Portugal en même
temps que l’un d’euxLe Peuple pauvre
, célébrant les mérites de Salazar.
il était évidemment celui à qui rien n’échap
pait,
celui aussi à qui nos hôtes ouvraient
le plus volontiers leur coeur : là où était
Tharaud, là étaient aussi les jeunes filles por
tugaises.
En coupant les pages de
Espagne
une vue directe du champ de bataille espa
gnol,
et je n’ai pas été déçu.
J’étais en outre assuré que les choses nous
seraient montrées sans recherche d’éloquence.
Nous connaissons les Tharaud : celui qui
fut en Espagne dut être à chaque instant
bouleversé jusqu’à l’horreur ; mais il n’a ja
mais
porté son cœur en écharpe à la manière
de Chateaubriand, son voisin de Bretagne
la sensiblerie n’est pas son fort
Réjouissons-nous de ce qu’il existe au
moins un livre sur cette guerre où l’auteur
n’ait aucun désir d’exciter notre indignation
au bénéfice de l’un ou de l’autre camp. A
vrai dire, Tharaud, en nous racontant sim
plement
ce qu’il a vu du côté nationaliste
auquel vont ses préférences, ne se fait pas
scrupule de donner souvent des armes à l’ad
versaire :
il n’a que le souci d’être véridique.
Le goût du risque est indispensable à un
bon correspondant de guerre, et surtout de
guerre civile. Tharaud l’Espagnol a dû com
mettre
plus d’imprudences qu’il ne nous en
raconte dans son livre. Il ne rapporte que
l’indispensable pour qu’on ne puisse lui dé
nier
sa qualité de témoin. A la fois téméraire
et circonspect, il a erré dans ces régions indé
terminées
où il suffit de parcourir quelques
mètres sur une route pour se trouver tout à
sur ce sujet, les Tharaud ont de lugubres
histoiresOceano nox
, O flots ! Que vous savez de lugubres histoires !
.
* * *
Mais le sommet de ce beau livre, c est le
dernier chapitre qui nous montre Miguel de
Unamuno quinze jours avant sa mort com
mentant
pour ses amis français son testa
ment
spirituelViva la muerte !
et Abajo la inteligencia !
. Unamuno était un Basque de Bilbao, bascophone, ce qui ne pouvait qu’attirer la sympathie de Mauriac.
parce qu’il a désespéré de son peuplegénération de 98
dont Unamuno fut la figure principale avec Antonio Machado, Valle Inclan, Juan Ramon Jiménez et Pio Baroja.
yeux du recteur de Salamanque, la misère
physiologique de la race espagnole explique
tout le drame : malade dans sa chair elle
cède, selon lui, à des passions furieuses héri
tées
des Tziganes et des Maures. Don Mi
guel
ne se faisait-il pas des siens une image
trop romantique ? Il n’est pas nécessaire d’in
voquer
de telles hérédités pour expliquer une
fureur dont les excès souillent l’histoire de
tous les autres peuples et d’abord la nôtre.
Sans remonter jusqu’à la Terreur
mes
les fils de gens qui se souviennent d’avoir
vu brûler Paris. L’histoire de la Commune
n’est pas si éloignée de nous que nous puis
sions
douter de ce que serait une reprise du
drame révisérevisé
dans l’original.
qui ont acquis, en soixante-dix ans, une cer
taine
expérience et ont perfectionné leur mé
thode
désespoir, la terreur et l’obsession du néant
cela appartient en propre à l’Espagne comme
en témoignent ses peintres et ses mystiques.
N’oublions pas pourtant que la férocité espa
gnole
est, dans son fonds, la férocité humaine
qui est la chose du monde la mieux partagée
— avec en plus ce caractère particulier qui
lui vient de son catholicisme.
Pourquoi, demandait un soir André Mal
raux,
est-ce justement la catholique Espa
gne,
la sainte Russie qui donnent au monde
l’exemple de réactions si terribles
la raison, lorsqu’il crie à celui qui lui assure
et qui le persuade que Dieu n’existe pas :
Mais alors, tout est permis ?
Ce
est permisL’Hymne et le secret
).
dans le cœur d’un peuple croyant lorsqu’on
lui enlève son Dieu. Il se jette avec frénésie
sur ce dont il se privait par terreur. Des
passions que la crainte seule refoulait et non
l’amour, se ruent à l’assouvissement.
Si jamais le clergé retrouvait quelque pou
voir
sur ces sombres ouailles, sans doute de
vrait-il
s’attacher à l’instauration d’un chris
tianisme
plus intérieur, pour ce qui touche à
la vie spirituelle des individus, et en outre
nettement social et accordé à cette soif de
justice qui une fois éveillée, ne cède ni à
l’indifférence ni au mépris
d’ajouter que quelle que soit la responsabilité
de ce clergé, nul n’a le droit de jeter la
pierreQue celui d’entre vous qui est sans péché lui jette le premier une pierre !
(
mille des leurs massacrésLe Retour du milicien
.
Dieu veuille que nos propres fautes ne nous
coûtent pas aussi cher…
* * *
Il n’empêche que nous trouvons ici une
explication du drame de ce peuple : son
caractère même nous éclaire sa destinéeLe caractère, c’est la destinée.
qui furent appelés par vocation à prendre
la charge de ce furieux devaient presque fa
talement
céder à la tentation de lui imposer
du dehors la discipline religieuse. La loi
d’amour devint en Espagne une camisole de
force. Sa nature irréductible lui a suscité
des gardiens et non des pasteurs selon le
cœur de Dieu. Sous différentes formes, elle
a toujours secrété l’Inquisition
organisme malade, fièvre que le cœur finit
par ne plus pouvoir supporter.
Et pourtant ne désespérons pas de ce dé
sespéré.
Rien n’est perdu encore. Même pour
l’homme est libre encore de sauver l’Espagne ;
il dépend du libre arbitre humain
tragédie en définitive soit moins atroce qu’il
ne nous a paru d’abord.
Selon ce que les vainqueurs auront fait de
leur victoire, selon qu’ils en useront avec sa
gesse
ou qu’ils en mesurerontmésureront
dans l’original.
guerre civile revêtira dans l’histoire des
aspects bien différents : peut-être apparaî
tra-t-elle
comme le dernier sursaut d’une na
tion
dont le cardinal Alberoni
du pied le cadavre, à moins que la postérité
n’y découvre au contraire l’aube d’une re
naissance,
et ne juge que tant de sang n’a
pas été versé en vain.
* * *
Ainsi le destin de l’Espagne ne nous mon
tre
pas encore son véritable visage. Il appar
tiendra
au chef victorieux
de lui imposer un caractère définitif. Le tout
est de savoir si ce maître encore inconnu cè
dera
au démon de la facilité, en cherchant
à écraser le vaincu et à l’anéantir, ou si, au
contraire, il chargera ce peuple tout entier
sur ses épaules, et consentira à ne plus voir
que ses blessures pour les panser avec amourla met, tout joyeux, sur ses épaules
(band[er] ses plaies
avant de le mener à l’hôtellerie où il prend soin de lui (
Au sortir de son enfer, l’Espagne risque
d’en connaître un pire, si le vainqueur cherche
d’un seul côté les responsables. C’est une vé
rité
que seul un peuple catholique nous pa
raît
capable de comprendre : il ne ressus
citera
que dans la mesure où toutes les
classes, tous les partis prendront conscience
de la part qu’ils ont prise à un immense crime
collectif. Ce n’est pas seulement au clergé
qu’il faut demander des comptes, mais à tous
ceux qui de la droite à l’extrême-gauche,
ayant eu à tour de rôle pouvoir sur l’esprit
et sur le cœur de ce peuple, ont péché
mortellement contre lui par action et par
omissionJe confesse à Dieu tout-puissant, je reconnais devant mes frères que j’ai péché en pensée, en parole, par action et par omission
.