Le Cruel Martyre du peuple basque

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François Mauriac Le Cruel Martyre du peuple basque L’Ordre 1 1938-06-15 Paris L’Ordre

Mercredi 15 juin 1938 L’Ordre Le cruel martyre du peuple basque Les orphelins de Guernica, de Durango, de Barcelone ne peuvent pas confondre la cause de leur Dieu crucifié avec celle du général FrancoRepris sous le titre Le Drame d’un peuple incompris dans DAEM, p. 113-15. par François MAURIAC de l'Académie Française

Le silence s’est fait sur le peuple basqueMalgré leur défense acharnée, les troupes franquistes mettant 2 mois pour franchir les 30 kilomètres qui séparent Guernica de Bilbao, celle-ci tombe le 19 juin 1937, et les derniers combattants se rendent dans le port de Santonia le 26 août 1937. Un an plus tard, au moment où Mauriac écrit cet article, l’intérêt pour le conflit s’est déplacé, et les Basques sont un peu oubliés.. L’attention s’est détournée de lui. Il existe tant d’autres victimes en cet an de grâce 1938 ! Un martyre chasse l’autre… (1).

Mais entre tous les peuples assassinés, le Basque seul partage avec son Maître le privilège d’être insulté sur la croixMauriac revient sans cesse sur le catholicisme des Basques, qui apparente leur martyre à la crucifixion du Christ.. A ceux de ses adversaires qui le condamnent de bonne foi, nous demandons de lire et de méditer cette nouvelle édition du livre de Victor Montserrat : Le Drame d’un Peuple IncomprisMauriac a préfacé la deuxième édition de ce livre, que les autorités franquistes, gênées dans leur action diplomatique, tentèrent d’empêcher en essayant d’acheter Victor Montserrat. Victor Montserrat est le pseudonyme du prêtre catalan Josep Maria Tarrago, qui avant la guerre avait fondé un syndicat, l’Unio de Traballadors Cristians de Catalunya, qui s’est situé dans la mouvance des nationalistes catalans. Il a publié des articles dans La Croix, bases du livre dont parle Mauriac et dont le titre complet est : Le Drame d’un peuple incompris. La guerre au Pays basque, 1ère édition, H-G Peyré, 1937. En 1938, paraît la deuxième édition : la préface de Mauriac a été utilisée en article dans Le Figaro du 17 juin 1937 : Pour le peuple basque. Sur cette question, on peut voir la communication de Luisa Marco Sola, Les deux Églises en 1936 : la confrontation idéologique au sein de l’Église catholique au sujet de la guerre civile espagnole (1936-1939), au 21ème Congrès international des sciences historiques, Amsterdam, 22-28 août 2010..

Je n’ai rien à ajouter à cet exposé de faits qui parlent d’eux-mêmes comme on dit ! Qu’il me soit permis seulement d’attirer l’attention du lecteur catholique sur un point de doctrineLe contexte français et l’image anticléricale du gouvernement républicain espagnol contraignent Mauriac à répéter sans relâche son argumentation pour justifier son engagement : mais on le voit bien, c’est sa proximité avec les Basques qui motive son choix. : les chrétiens doivent l’obéissance au pouvoir établi, légal, aussi faible et aussi mauvais soit-il ; or, tous les ambassadeurs étrangers étaient accrédités auprès du Gouvernement de Madrid.

Pour un catholique, les circonstances peuvent-elles rendre légitime un mouvement insurrectionnel ? Nous l’admettons. Après deux ans d’une tuerie atroce, pendant lesquels l’Espagne a été saignée à blanc, ruinée, livrée à des puissances étrangères, utilisée comme cobaye par des aviations rivales, j’admire que des hommes sérieux continuent àDAEM : de. professer que l’insurrection militaire était le meilleur parti à prendre, le plus raisonnable, le plus sage et le plus chrétien. Mais enfin, acceptons que la rébellion puisse devenir quelquefois un devoir saint et sacré. Il n’en reste pas moins que le refus de rébellion contre le gouvernement légal ne saurait, en aucun cas, être reproché à un peuple chrétien. Un partisan catholique du général Franco est obligé de lui chercher des excuses. Un peuple chrétien n’a pas à s’excuser de n’avoir pas voulu (1) Ces lignes paraissent en préface à une réédition du livre de M. Victor Montserrat : Le drame d'un peuple insurgé ; la guerre en pays basque, qui reparaît chez Payré. lu se révolter. Et comment le peuple basque l’aurait-il voulu, aurait-il même pu le vouloir ? La République allait reconnaître son autonomie dont les militaires étaient les adversaires déterminésCf. notre note au texte-préface paru dans Le Figaro le 17 juin 1937..

On ne nous a jamais rien répondu sur ce point parce qu’il n’y a rien à répondre — ou plutôt on a répondu par des calomnies : le peuple basque auraitDAEM : aurait eu. partie liée avec Moscou avant la révolte militaire. Ici, le livre de Victor Montserrat apporte toute la lumière. A peu près seul en Espagne, le clergé basque avait suivi les directionsDAEM : directives. pontificales et opposé aux organisations communistes et anarchistes un syndicalisme catholique vivant et prospère.

Tout de suite, dès le lendemain de l’insurrection, cette Chrétienté basque a été traitée en ennemie par les rebelles. On ne lui a pas laissé de choix ; elle a été précipitée dans la guerre ; et, dès les premières semaines, elle a eu ses martyrs — ses prêtres martyrs.

Claudel ferait bien d’ajouter à son poème franquisteAux martyrs espagnols, c’est-à-dire les prêtres catholiques victimes des rouges. Cf. Le Membre souffrant in Sept du 28 mai 1937., un verset en l’honneur de Don Martin Lecuona, de Don Gervasio de AlzibuDAEM : Albizu., fusillés à Galarreta, près d’Hernani (Don Lecuona fut le fondateur de la J.O.C. en Euzkadi). Il pourrait aussi honorer la mémoire de Don Alejandro Mendicute, de Don Joaquin Arin, de Don Leonardo de Guridi, de Don José Penagaricano, de Don Celestino de Onaindia (qui mourut en récitant le Te Deum), de Don José de Adarraga, de Don José de AritztimunoDAEM : Ariztimuno., du Père Roman de San José, prieur d’AmarabietaDAEM : Amorabieta. La version du texte reprise dans D’autres et moi continue à cet endroit : Qu’il ait aussi une pensée dans une nouvelle édition de son poème pour les prêtres et séminaristes déportés après la prise de Bilbao. Mais comme la justice commanderait de ne pas oublier non plus toutes les victimes innocentes des bombardements aériens, tous les prisonniers assassinés (les premiers mois, on ne faisait pas de prisonniers), nous lui conseillons d’honorer par une seule strophe, par un seul vers, les milliers et les milliers d’âmes chrétiennes que les chefs de l’armée sainte, que les soldats de la sainte guerre ont introduites dans l’Éternité..

Croyez-vous donc, cher et grand Claudel, qu’il n’y ait eu en Espagne que seize mille martyrs ? Vous osez écrire, parlant de ces seize mille :

Les portes du ciel ne suffisent plus à toute cette cohue bon gré mal gré…

Du moins ceux-là furent-ils assassinés par une populace furieuse et aveugle qui ne se réclamait pas du Dessin de Franco signé elkins Christ. Des milliers d’êtres humains ont été les cibles d’aviateurs italiens et allemands qui agissaient froidement, sans colère, en service commandé, aux ordres du chef catholique de l’armée sainte. C’est une autre sorte d’horreur que celle qui vous inspire ce beau poème incomplet, intitulé Aux Martyrs Espagnols ; comme si les martyrs étaient d’un seul côtéDAEM : comme si les martyrs étaient d’un seul côté, les bourreaux d’un seul côté….

Il existe du moins un crime que les plus abjects assassins de Barcelone n’auront pas commis ; ils n’ont pas compromis le ChristMauriac a pu répondre lors d’une interview que les rouges faisaient leur métier de rouges !. Combien d’années, de siècles, faudra-t-il à l’Église d’Espagne pour se dégager de l’effroyable équivoque, et pour que les fils des femmes assassinées à Guernica, à Durango, à Barcelone et dans toute l’Espagne apprennent à ne plus confondre la cause de leur Dieu crucifié avec celle du général Franco ?