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DANS ce pays de Valois
n’est que le trouble confluent
du printemps et de l’au
tomne.
Les dernières cerises que
nous mangeons sont mouillées d’une
brume qui déjà donne au matin
l’odeur de la rentrée. Même au so
leil,
je ne puis m’étendre sur la
prairie sans être saisi du froid de
l’argile.
Je sais que l’été règne ailleurs et
que son royaume se confond avec
celui de mon enfance : Il y a 35°
Autrefois, j’étais com
à l’ombre, m’écrit-on. Depuis trois
mois nous n’avons pas de pluie.
Tout est cuit : comme petites ré
coltes
on n’aura rien, à part quel
ques
pommes de terre. L’eau man
que :
nous allons la chercher à la
Garonne pour les sulfatages et pour
arroser les cyprèsLivre de raison
de Malagar : En février 1937 j’ai planté 130 cyprès (sur la terrasse et le long des vignes au midi.)
souffre pas.
me
la vigne : cette saison meur
trière
m’exaltait, je bravais le feu,
du ciel : On ne sort même pas
les bêtes, et tu cours les routes ?
Oui, je courais les routes, je chan
tais
dans la fournaiseLa Tempête apaisée
(
La vieille cour étouffe de lys ; la terrasse
Est brûlante où j’aimais à quinze ans de m’étendre
Pour braver le soleil comme la mort en face.
Il me plaît de savoir que la four
naise
existe encore, mais aussi d’en
être délivré. Le pays de la soifLe Désir
, Le pays de la soif est au dedans de nous.
m’attire plus. Entre le printemps et
l’automne, dans ce Valois qui n’a
que trois saisons, j’ai établi ma
demeure. Est-ce d’avoir atteint ce
tournant de l’âge où un jeune criti
que,
ces jours-ci, m’attaquait avec
une délicatesse ravissanteLes comptes rendus des critiques littéraires se succédaient après la publication du deuxième volume du
L’âge critique de M. Mauriac
.
sais… Je sais que sous ces ombra
ges
saturés d’eau et dans ce soleil
trouble, l’esprit jouit de son propre
éveil.
De ce tournant où je suis parve
nu,
qu’elles me semblent loin les
orgies de lectures des vacances
d’autrefois, quand on disait : Cet
Quelques lignes
enfant dévore tout… on ne sait plus
que lui donner !
me suffisent aujourd’hui, que je ru
mine
et dont je n’épuise pas le suc.
Dans la vieille maison pleine de
livres, je passe de Montaigne
Bruyère
Saint-Simon
un moderne qui me donne la joie
de toucher le vrai, de le tenir cap
tif
et tout vivant dans quelques
mots simples et irremplaçables.
Par exemple, ces jours-ci, je me
récite ce que Chesterton
saint François d’Assise : Il ne
voyait point la forêt à cause des
arbres, il ne voyait point la popu
lace
à cause des hommes… il ne
voyait que l’image de Dieu, multi
pliée,
mais jamais monotone. Pour
lui, un homme était toujours un
homme, et ne disparaissait pas plus
dans une foule compacte que dans
un désert. Il honorait tous les hom
mes,
c’est-à-dire qu’il ne les aimait
pas seulement, mais aussi qu’il les
n’avait rencontré le regard de ses
brûlants yeux bruns sans recevoir
la certitude que François Bernar
done
s’intéressait véritablement à
particulière, depuis son berceau
jusqu’à sa tombe, qu’il était en per
sonne
évalué, pris au sérieuxThe Little Poor Man
) de la biographie que G. K. Chesterton consacra au saint (
Ce texte circonscrit un pays où
nous retrouver, nous tous de droite
et de gauche qui, comme l’écrit un
compagnon de Gide en U.R.S.S.En juin 1936, Gide était accompagné en URSS de Louis Guilloux, Pierre Herbart, Jef Last, Jacques Schiffrin et Eugène Dabit, qui y trouva la mort.
ne pouvons nous accoutumer aux
rapports imbéciles que d’un bout
du monde à l’autre, on a avec les
êtres.
Ce ne sont pas les idées seules
qui nous séparent ; ce ne sont pas
elles non plus qui suffisent à nous
rapprocher, mais une certaine qua
lité
du regard que nous fixons sur
autrui. Le regard d’André Gide en
U.R.S.S.
Bernanos à MajorqueBibliothèque de la Pléiade
, Gallimard, 1971, p. 1423–1450.
écrivains si différents ont en com
mun
ceci : un œil clair qui trahit
la loi de la jungle humaine.
Non, certes, le regard de Jean-
JacquesTout est bien sortant des mains de l’Auteur des choses, tout dégénère entre les mains de l’homme.
nature est blessée. La connaissance
et l’amour de l’homme, tel qu’il
est, ne risquent guère de nous ren
dre
aveugles sur sa misère, sur sa
férocité, ni de nous gagner aux ins
titutions
qui lui accordent trop de
confiance ; mais plus encore cet
amour nous rend hostiles à toute
doctrine qui le détourne de son
âme, de ce royaume au dedans de
lui-mêmele Royaume de Dieu est au milieu de vous.
L’expression au milieu de vous
est parfois traduite au-dedans de vous
dans d’autres versions.
Cela paraît tout simple, là où il
y a un homme, de voir un homme,
et non un chameau, un cheval ou
une araignée. Et c’est pourtant cette
absence de folie qui aujourd’hui
passe pour folie — surtout si nous
poussons la singularité jusqu’à don
ner
à la vie de la créature une va
leur
absolue. Il n’est rien qui ne
nous rend plus insupportables à tous,
amis, adversaires, que d’appeler as
sassin
un assassin, et innocent un in
nocent,
que de ne tenir aucun compte
de ce que les Staliniens appellent :
a sa ligne générale et ses lignes se
condaires,
réseau compliqué hors
duquel on ne saurait battre impu
nément
les buissons…
Est-ce une influence propre à
cette saison entre le printemps et
l’automne, à ce ciel brouillé, à ce
souffle vif et frais d’un août dénué
de torpeur et qui tient l’esprit en
éveil ? Mais je rêve d’un parti de
sans parti
venus de tous les ho
rizons
et n’ayant rien en commun
que ce regard pur, qui se pose sur
les êtres avec cette attention d’où
peut naître l’amourdémerpiser