Le Cauchemar dissipé

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François Mauriac Le Cauchemar dissipé Temps présent 1 1938-10-07 Paris Temps présent

Vendredi 7 octobre 1938 Temps présent BILLET Le Cauchemar dissipéCet article sera repris dans MP, p. 108 (JMP, p. 749-50). Le cauchemar évoque évidemment le spectre d’une guerre avec l’Allemagne nazie, éventualité qui se profilait à l’horizon depuis plusieurs années en raison de l’agressivité du discours et de la politique d’Hitler. La menace d’une nouvelle conflagration avait néanmoins été momentanément écartée par les accords de Munich, obtenus à l’arraché le 30 septembre 1938 grâce à l’entremise de Mussolini, mais non sans déshonneur, puisque la Grande-Bretagne et la France avaient abandonné la Tchécoslovaquie au Troisième Reich. par François MAURIAC.

Je sais bien que nous nous reL’accent manque dans l'original.veillerons de cette joie et qu’au delà de ce grand mur de Versailles abattu par le poing allemandEn reconstruisant ses forces armées, réoccupant la zone démilitarisée, annexant l’Autriche et enfin faisant main basse sur la Tchécoslovaquie, Hitler ne cessait de faire fi des provisions du Traité de Versailles qui, suite à la victoire des Alliés dans la Première Guerre mondiale, devaient empêcher l’Allemagne de redevenir un pays belligérant., une route inconnue s’ouvre pour nous, pleine d’embûches.

Mais il reste que la guerre a reculé et que la Bête a été maîtrisée dans le moment même où elle s’apprêtait à bondir.

La volonté de quelques hommes a été la plus forte : quelques hommes, des démocrates. Ils n’ont eu recours à aucune des idoles qu’on a coutume d’attribuer aux démocraties. Ils n’ont brandi aucun mot à majuscule. Ils n’ont parlé ni de Droit, ni de Justice. Ils ont été humains, simplement.

Peut-être même ont-ils réveillé, dans des adversaires en apparence sans entrailles, une émotion, un remords obscurs, une pitié pour ces millions d’enfants des hommes déjà en marche, docilement, vers la boucherie…

Qu’elle nous touche, la joie délirante de ces pauvres peuples dociles ! La même joie à Berlin, à Paris et à LondresCroyant encourir la colère du public, Daladier et son homologue britannique Neville Chamberlain avaient en effet été accueillis en héros par les foules venues à leur rencontre lors de leur descente de l’avion dans leurs capitales respectives. ! La même impuissance à se haïr ! Oui, la guerre, en ratant ce dernier bond, nous aura révélé cette unité de la famille humaine.

Mais ici, notre tâche sera dure : DéjàLa majuscule est présente dans l’original. les partis se défientPour les Communistes à l’Assemblée Nationale, seuls (avec Henri de Kérillis et un député socialiste) à s’opposer aux accords de Munich, l’abandon de la Tchécoslovaquie par les Radicaux-Socialistes a donné le coup de grâce à la coalition du Front Populaire., se demandent des comptes les uns aux autres.

La guerre règne toujours et plus que jamais dans les cœurs et dans les esprits.

Dès demain nous recommencerons donc notre effort. Pour aujourd’hui, nous avons le droit de respirer, de bénir Dieu, d’écouter nos enfants faire des projets, de regarder leurs poitrines intactes et leurs mains qui n’ont pas versé le sangLe répit, on le sait, aura été de courte durée, si bien que Munich est resté dans les esprits comme le symbole même de la lâcheté face à une nation agressive. C’est Winston Churchill qui a eu le fin mot de l’histoire en observant : On vous donnait le choix entre le déshonneur et la guerre. Vous avez choisi le déshonneur et vous aurez la guerre. (You were given the choice between war and dishonour. You chose dishonour, and you will have war. Cité par Stephen J. Lee, Aspects of British Political History, 1914–1995, Routledge, 1996, p. 157.) Aussi Mauriac a-t-il cru devoir ajouter le paragraphe suivant à la fin de l’article publié en 1967 dans ses Mémoires politiques (p. 108 ; JMP, p. 750) : J’ai donc approuvé Munich sur le moment, mais sans illusion, comme le montre le billet écrit huit jours plus tard. En fait, je pensais à mes deux fils et ce fut cette angoisse provisoirement apaisée qui m’inspira d’abord..