Œuvre journalistique de François Mauriac 1937-1938

Calomnie

Vendredi 3 décembre 1937
Temps présent

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BILLET

CALOMNIE

Par François MAURIAC.

« Nous savons que, comme ca-
tholique, vous courez en France les
plus grands dangers, m’écrit-on du
Canada ; venez vivre chez nous,
vous y serez en sûreté[1][1] Si Mauriac a vraiment reçu cette lettre d’une correspondante canadienne ou s’il s’agit d’une innocente fiction servant de point de départ pour ce Billet du Temps présent, il serait difficile de l’établir. Vraie ou imaginée, elle lui offre le prétexte de composer ce bel hymne à la liberté et à la civilisation françaises.… »

J’ai ri d’abord, et puis, à la ré-
flexion, il m’a paru qu’il n’y avait
pas là de quoi rire : nous mesurons
ici jusqu’où est allée la campagne
de dénigrement contre la France,
quel succès elle a obtenu chez nos
amis même…

Quelle imposture ! Le seul pays
où chacun peut, en toute liberté,
adhérer au parti qu’il préfère, où
presque aucune limite n’est assi-
gnée à la manifestation de nos
idées politiques, où les ennemis du
régime, sans courir aucun risque,
se livrent dans leurs feuilles à tou-
tes les violences, passe donc, au
Canada, pour une terre où un ca-
tholique joue sa vie ! Et ceux qui
répandent ce mensonge sont les
mêmes qui, dans leur propre pays,
ont fondé leur pouvoir sur la vio-
lence, et dont la police assure le
règne[2][2] A quel pays, capable ou coupable de ce genre de mensonges et de « calomnie » , Mauriac pense-t-il ? Les candidats ne manquent pas, mais puisqu’il parle d’états policiers où la violence règne, c’est l’Allemagne et l’Union soviétique qui paraissent entrer en première ligne. !

On s’étonne que cette bourde soit
crue, en dépit de la réception ré-
servée au Légat du Pape[3][3] Monseigneur Eugenio Pacelli (1876-1958), légat du pape et futur Pape Pie XII, était venu en France en 1937 et notamment, le 11 juillet, avait assisté à la consécration de la Basilique Sainte-Thérèse à Lisieux. En mars 1937 il avait rédigé, avec Michael von Faulhaber, l’Encyclique Mit brennender Sorge, condamnation du racisme nazi ; ce qui n’empêcha pas que Pie XII devait être accusé après la guerre de ne pas avoir protesté assez fortement contre la persécution des juifs.. Les mil-

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lions de visiteurs que l’Exposition[4][4] L’Exposition Internationale « Arts et Techniques dans la Vie moderne » , s’est tenue à Paris du 25 mai au 25 novembre 1937. Dans un contexte de crise économique et de tensions politiques internationales, l’Exposition, installée principalement sur le Champ-de-Mars et dans les jardins du Trocadéro, visait à démontrer l’union de l’Art et de la Technique ainsi qu’à promouvoir la paix.
a attirés n’ont pu convaincre ma
correspondante du Canada. Il se-
rait curieux de connaître ses rai-
sons… Peut-être ne lui ont-elles
pas été toutes fournies par la
presse étrangère, hélas !

Ce qu’on appelle propagande,
dans certains pays, se ramène à
une organisation officielle de la
calomnie. Il y a aujourd’hui, chez
nos voisins, des préposés à la diffa-
mation.

On mène ainsi, en pleine paix,
une affreuse guerre des gaz. On
provoque de faux rapports, on in-
vente froidement les nouvelles né-
cessaires : la presse n’est plus
qu’un instrument au service de la
calomnie politique.

Qui pourrait persuader ma cor-
respondante canadienne que chez
nous, c’est le pays du cœur ouvert,
où les catholiques sont plus libres
qu’ils n’ont jamais été ? L’un des
derniers pays où il n’existe pas
de camps de concentration, et où
une seule île[5][5] L’île du Diable est l’une des trois îles du Salut, baptisées ainsi par Jean-Baptiste Thibault de Chanvallon en 1763, lorsqu’il y installa des colons survivants des épidémies qui sévissaient sur la côte de Kourou. Cette petite île rocheuse longue de 1 200 mètres et large de 400 mètres a servi de bagne (fermé en 1946) pour les prisonniers politiques français et les détenus de droit commun. accueille des forçats
qui sont, tous, des condamnés de
droit commun.



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