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AUSSI peu cagoulard que l’on
soit, cette affaire étonne en
core
plus qu’elle n’indignecomité secret d’action révolutionnaire
), groupement d’extrême droite anti-républicain, anti-sémite, anti-communiste, né en 1935 d’une scission de l’Action française. Dirigé par Eugène Deloncle et financé par Eugène Schueller (fondateur de la société Oréal), son but était de renverser la République. Ouvertement terroriste, il perpétra des assassinats et des attentats contre les services publics, organisant aussi des grèves politiques
dans l’industrie automobile. La consternation de Mauriac qu’un tel phénomène puisse s’ancrer en France est réelle. Ce qu’il ne mentionne pas c’est que la Cagoule attira le soutien de nombreux catholiques, y compris des jeunes gens de la Réunion des Étudiants (104 rue de Vaugirard) où lui-même s’était brièvement installé après son arrivée à Paris en 1907.
Depuis que la France est France,
on n’avait jamais entendu dire chez
nous que le type ingénieur de
inclinât au terro
chez Michelin
risme,
ni qu’il tuât volontiers par
ordre. Il y a là un phénomène si
étrange qu’après avoir poussé des
cris, la sagesse serait d’y appliquer
son attention froidement, et de re
monter
aux causes.
Qu’on ne me soupçonne surtout
pas de quelque complaisance ina
vouée
à l’égard de ces furieux. Si
j’en découvrais dans mon cœur la
moindre trace, j’en ferais l’aveu
sans vergogne. Au fond de tout être
humain, même le plus inoffensif, il
existe des routes mal frayées en di
rection
de bizarreries et de crimes
— des routes qui ne sont ignorées
de lui-même que s’il n’est pas né
chrétien et romancier. Mais je suis
bien assuré qu’il ne s’en trouve au
cune
en moi qui aboutisse au crime
politique.
Ce n’est certes pas la cruauté du
monsieur bien élevé qui m’étonne,
Dans le bon bourgeois, fils respec
tueux,
père excellent et tendre
époux, les réserves de férocité sont
incalculables, nous le savons. Les
hommes graves qui, de siècle en siè
cle,
ont appliqué la torture à d’autres
hommes, étaient d’honnêtes gens
comme vous et moi ; et si la Bastille
n’avait pas été prise, ni Marat, ni
Robespierre, ni Fouquier-Tinville
n’eussent été fort différents des vé
térinaires
et des gens de robe à qui
nous avons affaire chaque jour.
Mais cette férocité, qui est la
chose du monde la mieux partagéeLe bon sens est la chose du monde la mieux partagée
.
demeure chez le bourgeois presque
toujours légale et d’ordinaire, ne
se donne libre cours que dans les
formes de la justice. C’est ce qui la
distingue de la férocité populaire,
prime-sautière et facétieuse. Nous
n’avons jamais douté que quelques-
uns
des gens charmants avec qui
nous dînons, à quelque parti qu’ils
appartiennent, seraient fort capa
bles
de faire fusiller cinquante mille
personnes suspectes
penser comme eux, et d’anéantir
une ville à coups de bombes as
que possible dans les règles et, si
j’ose dire, en toute sécurité de
conscience.
Chez les cagoulards, nous nous
trouvons donc en face d’un phéno
mène
tellement nouveau et insolite,
que nous devons d’abord le consi
dérer
comme un signe. Des élé
ments
inconnus se sont introduits
dans le corps de la France
citent
des désordres si singuliers
que nous souhaiterions qu’ils fus
sent
étudiés avec méthode et ri
gueur,
par des spécialistes et des té
moins
très peu engagés dans la lutte
politique : un Daniel Halévy, par
exemple, ou un Siegfried
Au départ même de leur enquête,
ces docteurs se heurteraient à un
premier obstacle : la Police. Gar
dons-nous
de nous faire de la Poli
ce
une image romantique. Recon
naissons-lui
le droit, quand elle
tient une piste, de ne pas se décou
vrir
trop tôt. Il n’empêche que sa
mission n’est pas
tre
la main sur le criminel, mais de
prévenir le crime. Or, tout au long
de 1937, les gens de la rue enten
daient
parler de dépôts d’armes, de
serments dans des garages et d’au
tres
histoires de même acabit. C’est
même cette publicité, l’apparence
perruque blonde
de cette cons
piration
qui nous empêchait de la
prendre au sérieux. La Police, elle,
laissait filer le gibier comme si elle
avait craint qu’il n’eût pas fait en
core
assez de ravage… Elle tenait
en réserve, soignait, engraissait di
verses
espèces curieuses de conspi
rations.
Le poisson ne sait pas qu’il
nage dans un vivier, qu’un œil
noir le regarde… Nous voudrions
être assurés que la Police ne
poursuit jamais les délits qu’elle a
provoqués, qu’elle ne punit jamais
les crimes dont elle aurait pu em
pêcher
l’accomplissement.
En tout cas, le premier soin de
nos docteurs serait d’isoler le phé
nomène
qui leur est soumis, de tout
élément policier. Il leur resterait
ensuite à confronter tous les atten
tats
de même style dont la France
a été le théâtre depuis la guerre.
Et ici l’ordre chronologique devrait
être considéré : il n’est pas sans im
portance
que l’assassinat de Kou
tiépoff
ait précédé de plusieurs an
nées
celui des frères Rosselliblanche
dans la guerre contre les bolcheviques (1919-1920), Mauriac dépasse les faits établis en parlant d’assassinat, car le corps du général n’a jamais été retrouvé : il avait disparu à proximité de son domicile parisien, au 26 rue Rousselet, le 26 janvier 1930, victime d’un enlèvement commis en toute probabilité par des agents du gouvernement soviétique. Mauriac juxtapose ce fait au meurtre des Rosselli pour établir l’équilibre entre atrocités de droite et de gauche. En fait, les deux crimes étaient peut-être moins séparés : l’activiste russe Navachine, en 1937, évoquait la disparition de Koutiépoff par rapport aux menaces subies, également à Paris, par lui-même — et c’est à la Cagoule qu’on a attribué le meurtre de Navachine qui ne tarda pas à se produire. Cet événement récent, joint à la proximité de l’anniversaire de l’enlèvement, explique sans doute pourquoi Mauriac se remémore de ce mystère non résolu.
Enfin, il s’agirait de savoir si ce
n’est pas le même microbe qui a
atteint les circonvolutions droites et
les circonvolutions gauches du cer
veau
français et, pour parler net,
si le crime commun à certains élé
ments
de la Gauche et à certains
éléments de la Droite n’est pas d’a
voir
vendu leur âme à un démon
qui n’est pas de chez nous.