Œuvre journalistique de François Mauriac 1937-1938

Bruno Walter et Mozart

Jeudi 10 novembre 1938

Durant les beaux soirs de Salzbourg où j’eus la révélation de Don Juan, je ne me doutais pas que l’enchanteur à qui je devais cet immense enrichissement, serait un jour un Français parmi d’autres Français, l’un des nôtres.

Il a traversé un océan de douleur pour nous apporter cette joie que lui seul peut donner ; et sa présence au milieu de nous signifie que la France est toujours la France, qu’en dépit de ses erreurs et de ses fautes, elle demeure la patrie d’une certaine race d’esprits et de cœurs inspirés dont la faiblesse apparente recèle une force presque divine.

Les conquérants gagnent des provinces, mais ils perdent des hommes. Avec Bruno Walter, c’est Mozart qui revient à Paris, après tant de siècles. Puisse-t-il y trouver un meilleur accueil que lors de son dernier séjour où Grimm le desservit si bassement.

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Bruno Walter au piano est possédé de Mozart. La joie de Mozart et sa passion resplendissent sur le visage du Maître. Il nous est donc permis de réparer en la personne de Bruno Walter les injustices et les outrages que l’esprit humain subit de siècle en siècle, dans tous les pays et sous tous les régimes, et d’unir dans une même ferveur la musique allemande et le plus pur de ses interprètes.

François Mauriac [signature fac-similé]


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