Œuvre journalistique de François Mauriac 1937-1938

Bilan

Vendredi 8 janvier 1937
Sept

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LE BILLET DE FRANÇOIS MAURIAC

BILAN[1][1] Article repris dans les Mémoires politiques (JMP, p. 721-722).

L’histoire traîne en longueur ; les événements ne se précipitent plus[2][2] Laurence Granger renvoie ici au contexte politique : « Après les grandes réformes de l’été 1936, le gouvernement du Front populaire, confronté à des difficultés financières et à des grèves endémiques, tiraillé entre les surenchères communistes et les hésitations radicales, paraît progressivement paralysé » (JMP, p. 721).. Les
communistes ne font pas leur coup ; les avions d’Hitler ne nous réveillent pas
au milieu de la nuit ; l’Espagne est peut-être morte, car on entend bien les
voix de ceux qui se battent sur son corps ; mais elle ne crie plus, elle n’a plus
la force de crier[3][3] Le lendemain, 9 janvier, paraît dans Le Figaro « Le Démon de l’Espagne » .. La Société des Nations[4][4] Basée à Genève et créée en 1919 sous l’impulsion du président américain Woodrow Wilson lors de la Conférence de paix de Paris, la Société des Nations (SDN) avait pour objectif principal de maintenir la paix en Europe suite à l’hécatombe de la Première Guerre mondiale. L’éclatement de la Seconde guerre mondiale scella l’impression de faillite associée à la SDN et elle fut remplacée en 1945 par l’Organisation des Nations unies. Les articles de Mauriac montrent ses doutes quant à l’efficacité de la SDN — voir, par exemple, « Le Magistère spirituel du président Wilson » , Le Gaulois, 1er juin 1919, p. 3 (repris in MAM, p. 114-118) ; « Partout ou nulle part » , Temps présent, 13 octobre 1939, p. 1 (repris in JMP, p. 753-754) où Mauriac évoque « la banqueroute de la Société des Nations » ; ou encore « L’Homme et l’histoire » , Le Figaro, 13 juin 1945, p. 1 (repris in JMP, p. 319-320). Cf. surtout la réflexion dans « Juillet 37 » : « La Société des Nations n’est plus qu’une grande espérance assassinée. » , cette organisation de l’impuissance,
dresse au-dessus du monde [Note: La virgule sera supprimée en volume.], un drapeau sans couleur que le vent ne soulève
même plus.

La C.G.T[6][6] La Confédération Générale du Travail, syndicat créé en 1895. Le 7 juin 1936 elle avait signé les accords de Matignon avec le patronat pour mettre fin à une vague de grèves. L’organisation syndicale comptait 4 millions d’adhérents en 1937.. n’a pas abattu le patronat, le patronat n’a pas abattu la
C.G.T. ; et l’ouvrier attend passivement l’ordre de grève ou l’ordre de reprise
du travail, — soumis à plus de maîtres qu’il n’en eut jamais depuis qu’il est
au monde et qu’il souffre.

Les trusts tiennent le coup et les très grands riches n’ont pas encore fini
de compter ce qu’ils doivent à la dévaluation d’Auriol[7][7] Du 4 juin 1936 au 21 juin 1937, le socialiste Vincent Auriol fut ministre des Finances sous le Front populaire. Après avoir voté la dévaluation du franc le 1er septembre 1936, il s’opposera à une deuxième dévaluation en février 1937. Après la guerre, il sera le premier Président de la IVème République (1947-1954). : quand ils obtiennent
enfin le total, ils n’osent pas se l’avouer à eux-mêmes. On a vu, durant les
fêtes, autour du caviar et des huîtres des grands restaurants, des gueules terri-
fiantes qui, d’habitude, se dressent derrière les comptoirs des bistrots, dans
la fumée de gloire des percolateurs[8][8] Laurence Granger observe qu’il s’agit d’une : « Vision caricaturale des nouveaux riches qui prospèrent sur le terreau de la crise économique. Des scandales successifs (affaires Hanau, 1928 ; Oustric, 1929 ; Stavisky, 1933) ont révélé la pénétration des milieux de la politique et des affaires par des escrocs et des corrupteurs » (JMP, p. 722). Elle renvoie à « Le Scandale et les passions » , l’article de Mauriac publié en première page de L’Écho de Paris du 3 février 1934 (repris in JMP, p. 1085-1088). Citons aussi « Réflexions sur le scandale » , L’Écho de Paris, 20 janvier 1934, p. 1..

Mais la bourgeoisie de province s’éteint lentement dans ses maisons
glacées[9][9] Mauriac avait déjà évoqué les effets de la crise sur les classes moyennes dans des articles comme « Révolte du contribuable, ou Les moutons enragés » , Les Annales politiques et littéraires, 10 février 1933, p. 147–48 et « La Misère bourgeoise » , Les Annales politiques et littéraires, 10 mars 1933, p. 263–64. ; les vieilles dames mettent des gants pour faire elles-mêmes leur
ménage, suppriment un repas, vendent leurs dernières bagues, — et pour aider
leurs enfants, n’auront bientôt plus de pain à s’ôter de la bouche…

Et cependant le Pape offre ses souffrances pour le Monde[10][10] Dans un article intitulé « La Santé du pape » paru le 7 janvier 1937, un journaliste anonyme de La Croix reprend une dépêche de l’agence Havas selon laquelle Pie XI aurait reçu Mgr Ottaviani, assesseur du Saint-Office, et lui aurait dit « qu’il était heureux de pouvoir souffrir comme le Seigneur, lui qui avait jusqu’à présent été épargné par la souffrance physique » (p. 2). On peut lire le communiqué officiel publié dans l’Osservatore Romano concernant la santé du pape en deuxième page de La Croix du 5 janvier. ; des milliers
de chrétiens de tout âge et de toutes conditions donnent l’exemple de l’espoir
— de l’espoir envers et contre tout — à ce monde qui n’est qu’en apparence
condamné.



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