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Pour nous qui…(
Le 19 mars 1938, Mauriac participe, avec le P. Bernadot, Gabriel Marcel et Jacques Maritain, à une rencontre organisée par le groupe Chrétienté sur le thème :(La servitude du chrétien. Cet article reprend son intervention
Il m’arrive parfois d’amener un
camarade qui ne partage aucune de
mes opinions politiques à recon
naître
que
sur le front catholique, une position
avancée, quelques-uns diront peut-
être
même aventurée, mais qui doit
être tenue coûte que coûte.
Les catholiques de
plus qu’aucune attaque ouverte de
la haine, redoutent toutes ces
mains qui, de droite et de gauche,
se tendent vers le Christ pour l’at
tirer
et pour le retenir d’un côté de
la barricade — là où il serait re
vêtu,
par les soldats de la cohorte,
non plus d’un manteau de dérisionmanteau de pourpre
dont les soldats romains revêtirent Jésus avant de se moquer de lui et de lui donner des coups (
mais d’un uniforme, d’une che
mise
brune, rouge ou noire
d’être que de poser toutes les ques
tions
et que d’essayer de les résou
dre
dans la lumière de l’Évangile.
Non qu’il se croie infaillible ou à
l’abri de l’erreur. Il n’est pas rédigé
par des esprits purs. Chacun d’eux
a ses préférences et, qu’il le veuille
ou non, porte au dedans de lui un
homme de parti.
***
Voilà pourquoi, à la base de no
tre
effort, il faut une victoire inté
rieure,
celle que nous remporterons
sur le partisan de gauche ou de
droite qui s’agite en nous.
Est-ce à dire que nous planions
au-dessus des partis avec l’unique
souci de tenir entre eux la balance
égale et de ne pas choisir ? Non,
nous croyons au contraire qu’il
existe une solution chrétienne aux
problèmes qui divisent aujourd’hui
les peuples. Nous croyons que c’est
dans la mesure où le monde re
tourne
aux idoles qu’il se couvre de
sang.
Tout se passe aujourd’hui dans le
monde comme si Dieu voulait don
ner
aux hommes par des images
concrètes et, si j’ose dire, par
d’atroces caricatures un avant-goût
de cet enfer où le culte des idolesDestin de l’homme dans le monde actuel
,
les introduit dès ici-bas.
A Moscou, nous voyons ce qu’a
près
vingt ans de révolution
adorateurs de l’humanité font de
l’humanité
que la race est une déesse
doutable
que celles qui, sous l’an
cienne
loi, aimaient l’odeur des sa
crifices
humains, car c’est de peu
ples
entiers que la nouvelle idole
exige l’immolation.
***
Pour nous qui, dans le bref es
pace
de notre vie terrestre ne
voyons qu’un épisode de la lutte
éternelle entre les deux étendardsMéditation sur deux étendards : l’un de Jésus Christ notre excellent chef, l’autre de Lucifer l’ennemi le plus dangereux des hommes
(exercices 137 à 148).
nous avons ces jours-ci, il faut bien
l’avouer, une impression de dé
faite
et même d’écrasement. Que
faire, sinon de persévérer dans no
tre
effort pour que du moins tout
homme, qu’il soit du côté des vain
queurs
ou du côté des vaincus, sa
che
que le Christ n’est aux ordres
d’aucun chef d’armées, d’aucun chef
de peuplescroisade
. Cette alliance révolta Mauriac.
comme des bandits tous ceux qui
sont tombés d’un certain côté. Nous
croyons que les prêtres et les reli
gieuses
massacrés, mais aussi les
victimes des jugements sommaires et
des exécutions secrètes, les inno
cents
mitraillés au seuil de leursleur
.
maison par des aviateurs étrangers
ont un droit égal à son amour et à
sa miséricorde, et que les bour
reaux —
tous les bourreaux, même
ceux qui se réclament de son nom —
relèvent aussi de sa justice.
Nous le répéterons, nous le crie
rons
d’une voix d’autant plus obsti
née
que l’heure de l’écrasement est
venue dans plus d’un endroit du
monde pour ces foules dont le Christ
a eu pitiéA la vue des foules il [Jésus] en eut pitié, car ces gens étaient las et prostrés comme des brebis qui n’ont pas de berger.
reux,
voué au désespoir et à la
haine, ce peuple auquel, dans les
deux camps, on aura tout pris, tout
confisqué, même le Christ. Car, à
gauche, ses maîtres ont refermé sur
lui ce bagne matérialisteMa Conversion
(1913 ; repris dans La lecture des
Voir Paul Claudel, Bibliothèque de la Pléiade
, Gallimard, 1965, p. 1009.
mière
du ciel ne pénètre plus ; et, à
ignorer que le bruit des mitrail
leuses
annonce l’approche du Fils de
l’homme et que l’odeur de l’hypé
riteOu plutôt ypérite, du nom de la ville belge d’Ypres : un gaz de combat suffocant et vésicant à base de sulfure d’éthyl dichloré, appelé
gaz moutarde
, y fut employé pour la première fois par les Allemands en juillet 1917. L’armée italienne eut recours à cette arme pendant la conquête de l’Éthiopie en 1935–36.
riveDis-nous quand cela aura lieu et quel sera le signe de ton avènement et de la fin du monde
(
Nous devons dire ces choses, nous,
laïques, avec d’autant plus de force
que nous n’engageons que nous-
même
personne et que, dans bien des pays,
les chefs spirituels ne sont plus
libres et qu’on les oblige à se taire
quand on ne les oblige pas à parler.
Croyez-vous que ce soit de lui-même
que le cardinal-archevêque de Vien
ne,
le jour même où l’Autriche as
sassinée
disparaissait de la face du
monde, a publié cette déclaration :
Les prêtres et les fidèles devront
?
soutenir sans réserve l’État alle
mand
et le Führer dont la lutte con
tre
le bolchevisme et pour la puis
sance
d’honneur et l’unité de l’Alle
magne
répond aux vues de la Pro
videnceLes Événements d’Autriche : la grande parade de Vienne
(p. 2), mais dans le journal on lit l’État grand-allemand
au lieu de l’État allemand
.
***
Nous ne cédons pas au mouve
ment
de notre sensibilité, nous ne
rêvons pas d’une politique du cœur
ni surtout d’une politique d’aven
tures.
Je souhaiterais sur ce point que
mes paroles ne créent aucune équi
voque.
Pour ma part, il me semble
que la France, n’ayant pas agi lors
qu’elle
avait encore pouvoir de le
faire sans étendre l’incendie à l’Eu
rope
entière, ce n’est pas aujour
d’hui
où elle se trouve isolée, me
nacée
à la fois sur trois frontières
et en Afrique du nord
Mais à quoi bon parler de ces
choses qui nous échappent, qui se
décideront sans nous, et que d’ail
leurs
nous ne pouvons même envi
sager,
nous tous qui avons des fils
et des amis en qui repose ce qui
nous reste d’espérance terrestre ?
Ce n’est pas notre propre mort, c’est
la mort de ceux que nous aimons
qui ne peut se regarder en faceLe soleil ni la mort ne se peuvent regarder fixement.
Mais, même en m’efforçant d’écar
ter
ces raisons du cœur, il me sem
ble
que nous ne pouvons rien faire
d’autre, aujourd’hui, que de travail
ler
à reconstruire la France, à re
faire
l’unité française dans la con
science
retrouvée de sa mission
face du marxisme et de la férocité
raciste, ce serait déjà beaucoup
qu’elle gardât intact le dépôt de ces
valeurs chrétiennes qui nous sont
chères à tous, croyants et in
croyants.
Et surtout, nous continuerons de
veiller sur la source d’eau viveeau vive
et d’une source d’eau jaillissante en vie éternelle
(
qu’elle ne soit ni captée, ni détour
née,
ni souillée, par les apôtres de
la force et de la terreur, et pour que
la foule de ceux qui sont chargés et
accablésVenez à moi, vous tous qui peinez et ployez sous le fardeau, et moi je vous soulagerai
(
cus
en retrouvent un jour le che
min.
***
Chers amis, je voudrais finir sur
une parole d’espérance, et vous
donner dans ces jours d’humiliation
une raison de ne pas perdre cœur.
C’est un art où excellent les chefs
du nouveau Reich que de doser l’au
dace
et la ruse. Mais peut-être le
moment est-il proche, qui vient tou
jours
pour l’Allemagne, quels que
soient ses maîtres, où elle force la
dose, car elle a irrémédiablement
la main lourde. Les pays assassinés
ne meurent pas sans un cri. L’Au
triche
bâillonnée se débat : déjà,
nous le savons, les prisons et les
camps de concentration regorgent.
Dans l’universelle angoisse née des
attentats de la force, tous les peu
ples
de la terre se tournent vers
cette nation française divisée, para
lysée,
hagarde, et comme absente
d’elle-mêmede Thorez à Marin
présidé par Blum. Les réticences d’une partie de la droite firent échouer ce projet. Le Cabinet Blum, livré à l’impuissance, chuta un mois après sa formation, en avril.
rôle, parfois ils la soufflettent d’un
mépris où se trahit leur amour déçu,
d’un mépris qui la réveillera, nous
en sommes sûrs, qui déjà l’a réveil
lée.
Ils lui rappellent, à cette humi
liée,
sa vocation de fille de Dieu.