Au seuil de l’année nouvelle, nous avons
pensé que nos lecteurs aimeraient savoir ce
que 1938 peut attendre du talent de nos plus
grands romanciers.
Notre collaborateur Maurice Romain a donc
été demander à quelques-uns d’entre eux quels
étaient leurs projets les plus immédiats, quelles
œuvres ils avaient sur le chantier, et les a
priés de lui parler de celles-ci à l’intention
des lecteurs des Annales. Nous commençons
aujourd’hui de publier leurs réponses.
M. FRANÇOIS
Mauriac
est un
homme fort
occupé ; en dépit de
son désir, assuré-
ment
sincère, de
répondre favorable-
ment
à notre re-
quête,
il n’a pu
m’accorder que
quelques très brèves
minutes.
Il s’en est excusé
à l’avance en venant à moi dans le salon
orné de très belles toiles modernes où je
l’avais attendu, en haut d’un immeuble
d’Auteuil[8][8] 38, avenue Théophile Gautier, dans le 16e arrondissement de Paris. où deux appartements, reliés
par un escalier intérieur, forment une
sorte de petit hôtel.
— En ce moment, me dit tout de suite
l’auteur de Genitrix[9][9] Roman de Mauriac paru chez Grasset en 1923., j’appartiens tout
entier, pris à part mes devoirs d’acadé-
micien,
aux représentations d’Asmodée[10][10] Cette pièce, qui marqua la grande entrée de Mauriac au théâtre, connut un grand succès lors de sa première à la Comédie-Française le 22 novembre 1937..
— Nous parlerez-vous d’Asmodée ?
— On ne m’en a déjà fait que trop
parler[11][11] Voir en particulier l’entretien avec André Warnod, « François Mauriac nous parle d’Asmodée » , Le Figaro, 16 novembre 1937, p. 5., et j’ai dû trop souvent déjà com-
muniquer
mes impressions de débutant
dramaturge.
— Puis-je promettre de vous de nou-
veaux
romans ?
— Certainement ! Je n’entends pas sa-
crifier
le roman au théâtre. J’ai bien l’in-
tention
d’en faire paraître un l’année
prochaine[12][12] Allusion au roman Les Chemins de la mer, paru en volume chez Grasset en 1939, mais dont la prépublication commença sous le titre « Mamôna : grand roman inédit » dans Candide dès le 14 avril 1938.…
— Qui s’appellera ?…
— Dites que je n’en connais pas encore
le titre ; je n’aime pas annoncer un titre
qui peut risquer d’être changé par la
suite[13][13] Malgré cette prudence, ce roman avait pour titre initial Mamôna quand il parut dans les pages de Candide (du 14 avril au 7 juillet 1938), avant de devenir Les Chemins de la mer dès sa publication en volume en janvier 1939. Comme le suggère Jacques Petit (ORTC, III, 1198), ce changement de titre semble indiquer que Mauriac n’avait pas encore terminé la rédaction du roman quand Candide en commença la publication..
— Eh en dehors de cela, monsieur l’aca-
démicien,
nourrissez-vous d’autres pro-
jets ?
— Aucun projet important. J’ai, tou-
tefois,
promis à Grasset un commentaire
pour un album qu’il a bien voulu me con-
sacrer ;
il s’agit d’une collection nouvelle
destinée à présenter les sites les plus évo-
cateurs
de l’œuvre d’un écrivain, dans telle
région de la France qui a le plus souvent
servi de décor à ses livres[14][14] Ce livre a-t-il jamais vu le jour ? Il ne figure pas dans le livre de Keith Goesch, François Mauriac : essai de bibliographie chronologique, 1908–1960, Nizet, 1965.. II n’a paru
jusqu’ici, dans cette collection, qu’un
seul ouvrage dont Jean Giono a fourni
l’objet, sous le titre de Les Vraies Richesses[15][15] Jean Giono, Les Vraies Richesses, Grasset, 1936, illustrées de 112 photographies par Kardas..
Cet album, qui comporte un texte de
l’écrivain, réunit les photographies des
lieux les plus caractéristiques du pays
cévenol, où l’auteur de Regain[16][16] Jean Giono (1895–1970) reçut le prix Northcliffe pour son roman Regain (Grasset, 1930). a placé
l’action de ses romans. De même, des
photographies soigneusement choisies du
Bordelais et des Landes illustreront les
pages où je rappellerai ceux de mes livres
auxquels j’ai donné pour cadre cette région
qui m’est, on le sait, tendrement fami-
lière.
[…][17][17] Suivent les réponses de Georges Duhamel (p. 602), de Roland Dorgelès (p. 602–03), d’André Maurois (p. 603–04), de Jacques Chardonne (p. 604–05), et de Jacques Natanson (p. 605–06).
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