Œuvre journalistique de François Mauriac 1937-1938

Le Péril des ondes menace-t-il la littérature ?

Samedi 29 octobre 1938
Le Figaro

Page 5

Le péril des ondes
Ce que Paul Valéry
menace-t-il la littérature ?

Enquête par Georges RAVON

« Il m’est apparu de bonne heure que la
radio éloignait maintes personnes des
exercices, ou, mieux, des travaux de la lec-
ture en absorbant d’abord une part de leurs
loisirs et en leur faisant, ensuite, petit à
petit, perdre l’habitude et même le sens d’un
travail cérébral actif.
»

C’est en ces termes que M. Georges Du-
hamel s’exprimait, mardi dernier, à la séan-
ce publique annuelle des cinq Académies.

Y a-t-il donc incompatibilité entre la ra-
dio et la littérature ?

Nous l’avons demandé à quelques-uns de
nos meilleurs écrivains, et s’ils pensaient
qu’un auditeur promettait un lecteur nou-
veau ou représentait un lecteur perdu.

Voici les premières réponses qui nous ont
été faites.

[…][1][1] Suit la réponse de Paul Claudel.

Question de races
pour M. François Mauriac

M. François Mauriac est catégorique :

« Je n’ai aucun rapport d’ordre litté-
raire avec la radio. Dès que j’entends la
voix d’un monsieur, je coupe… »

S’il n’a pas entendu la voix de M. Geor-
ges Duhamel, M. François Mauriac a, du
moins, attentivement lu son discours et il
en partage la rigueur :

(Voir la suite page 7.)

Page 7
Le péril des ondes
menace-t-il la littérature ?
(Suite de la page5.)

« Oh ! je ne nie pas l’utilité pratique,
humaine, de la radio lorsqu’elle arrache à
leur isolement les malades ou les vieil-
lards… Mais, quant à moi, les seuls rap-
ports que j’entretiens avec elle sont sur le
plan musical. Rapports étroits et orageux,
d’ailleurs. A la campagne, où, le soir, on a
la chance de pouvoir atteindre les postes
étrangers, je traverse en trombe les chan-
sons françaises, assuré de trouver partout
ailleurs
du Bach, du Beethoven ou du
Mozart, ou quelqu’un de ces opéras de Ver-
di ou de Donizetti, que j’aime beaucoup. »

« Car notre grande misère, à nous Fran-
çais, c’est un nationalisme musical imbécile
qui nous condamne à consacrer les rares
émissions de bonne musique à la seule mu-
sique française. Il fut un temps où j’aimais
Nuages, Fêtes, la Pavane pour une Infante
défunte
, Escales… Maintenant, je les fuis
jusqu’en Angleterre, jusqu’en Allemagne,
jusqu’à Oslo. »

Au surplus, M. François Mauriac, qui
note au passage son goût pour Gounod et
pour Bizet, refuse à la musique moderne
[Note: Photo de Mauriac à gauche.] française toute ver-
tu éducative, vertu
qui doit être, selon
lui, la vertu même
de la radio :

« On ne conver-
tit pas quelqu’un à
la musique avec
cette musique-là. »

Puis un remords
le prend :

« Sauf, peut-être
avec Pelléas. Et on
ne convertit non plus
personne à la lec-
ture par la radio. »

« D’ailleurs, pour
ce qui touche les
rapports de la littérature et de la radio… je
ne les vois pas… La radio nous dispense
d’aller à des conférences… Mais qui va pour
son plaisir entendre des conférences ? Et
qui peut supporter d’entendre chez soi la
voix intolérable d’un conférencier ? »

« Ceux qui aiment les lettres et qui ai-
ment la lecture sont d’une autre race que
ceux à qui la radio suffit. »

Constatons cependant que M. François
Mauriac ne voit pas dans la radio un ad-
versaire bien redoutable pour la littérature.
Il la croit inoffensive :

« Si elle ne convertit personne à la lec-
ture, elle n’en détourne personne non plus. »

Et c’est l’auteur d’Asmodée qui conclut :

« Tout au plus pourra-t-elle détourner
quelques spectateurs du théâtre. »

[…][3][3] Suivent les réponses d’André Maurois, d’Abel Bonnard et de Fortunat Strowski.

Réponses recueillies par :

Georges Ravon.
(A suivre.)


Date:
© les héritiers de François Mauriac (pour le texte des articles) et les auteurs (pour les notes)