« Il m’est apparu de bonne heure que la
radio éloignait maintes personnes des
exercices, ou, mieux, des travaux de la lec-
ture
en absorbant d’abord une part de leurs
loisirs et en leur faisant, ensuite, petit à
petit, perdre l’habitude et même le sens d’un
travail cérébral actif. »
C’est en ces termes que M. Georges Du-
hamel
s’exprimait, mardi dernier, à la séan-
ce
publique annuelle des cinq Académies.
Y a-t-il donc incompatibilité entre la ra-
dio
et la littérature ?
Nous l’avons demandé à quelques-uns de
nos meilleurs écrivains, et s’ils pensaient
qu’un auditeur promettait un lecteur nou-
veau
ou représentait un lecteur perdu.
Voici les premières réponses qui nous ont
été faites.
[…][1][1] Suit la réponse de Paul Claudel.
M. François Mauriac est catégorique :
« Je n’ai aucun rapport d’ordre litté-
raire
avec la radio. Dès que j’entends la
voix d’un monsieur, je coupe… »
S’il n’a pas entendu la voix de M. Geor-
ges
Duhamel, M. François Mauriac a, du
moins, attentivement lu son discours et il
en partage la rigueur :
« Oh ! je ne nie pas l’utilité pratique,
humaine, de la radio lorsqu’elle arrache à
leur isolement les malades ou les vieil-
lards…
Mais, quant à moi, les seuls rap-
ports
que j’entretiens avec elle sont sur le
plan musical. Rapports étroits et orageux,
d’ailleurs. A la campagne, où, le soir, on a
la chance de pouvoir atteindre les postes
étrangers, je traverse en trombe les chan-
sons
françaises, assuré de trouver partout
ailleurs du Bach, du Beethoven ou du
Mozart, ou quelqu’un de ces opéras de Ver-
di
ou de Donizetti, que j’aime beaucoup. »
« Car notre grande misère, à nous Fran-
çais,
c’est un nationalisme musical imbécile
qui nous condamne à consacrer les rares
émissions de bonne musique à la seule mu-
sique
française. Il fut un temps où j’aimais
Nuages, Fêtes, la Pavane pour une Infante
défunte, Escales… Maintenant, je les fuis
jusqu’en Angleterre, jusqu’en Allemagne,
jusqu’à Oslo. »
Au surplus, M. François Mauriac, qui
note au passage son goût pour Gounod et
pour Bizet, refuse à la musique moderne
[Note: Photo de Mauriac à gauche.]
française toute ver-
tu
éducative, vertu
qui doit être, selon
lui, la vertu même
de la radio :
« On ne conver-
tit
pas quelqu’un à
la musique avec
cette musique-là. »
Puis un remords
le prend :
« Sauf, peut-être
avec Pelléas. Et on
ne convertit non plus
personne à la lec-
ture
par la radio. »
« D’ailleurs, pour
ce qui touche les
rapports de la littérature et de la radio… je
ne les vois pas… La radio nous dispense
d’aller à des conférences… Mais qui va pour
son plaisir entendre des conférences ? Et
qui peut supporter d’entendre chez soi la
voix intolérable d’un conférencier ? »
« Ceux qui aiment les lettres et qui ai-
ment
la lecture sont d’une autre race que
ceux à qui la radio suffit. »
Constatons cependant que M. François
Mauriac ne voit pas dans la radio un ad-
versaire
bien redoutable pour la littérature.
Il la croit inoffensive :
« Si elle ne convertit personne à la lec-
ture,
elle n’en détourne personne non plus. »
Et c’est l’auteur d’Asmodée qui conclut :
« Tout au plus pourra-t-elle détourner
quelques spectateurs du théâtre. »
[…][3][3] Suivent les réponses d’André Maurois, d’Abel Bonnard et de Fortunat Strowski.
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