Pour vous, la correspondance est-elle un genre littéraire ?

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Roger Lannes Pour vous, la correspondance est-elle un genre littéraire ? Les Nouvelles littéraires 3 1938-12-31 Paris Les Nouvelles littéraires

Samedi 31 décembre 1938 Les Nouvelles littéraires Edmond Jaloux, François Mauriac, André Maurois, Paul Valéry et Jules Supervielle répondent à notre enquête : Pour vous, LA CORRESPONDANCE est-elle un genre littéraire ?Article non repris.

Nous avons donné, la semaine dernière, les réponses de MM. Paul Claudel, Max Jacob et Jacques-Emile Blanche. Voici aujourd’hui la fin de cette consultation.

[…]Réponses d’Edmond Jaloux et d’André Maurois.

M. François Mauriac

L’éminent auteur de Genitrix, de Thérèse DesqueyrouxOn lit Dequeyroux dans l’original.Ces deux romans de Mauriac parurent chez Grasset en 1923 et 1927 respectivement. sait plus que tout autre, peut-être, qu’un roman n’est pas seulement le récit d’une fiction. Ses livres ont agi directePhoto sur 2 colonnes : François Mauriac et ses livres (J.-M. Marcel)ment sur la sensibilité et l’imagination d’innombrables lecteurs et lectrices.

Qu’il le veuille ou non, beaucoup de consciences obscures out subi son influence. En a-t-il eu l’écho direct par les lettres qu’il reçoit et sa correspondance n’a-t-elle pas dû prolonger l’action morale de ses romans ?

Je fuis le plus possible, me répond-il, le rôle de directeur de conscience. Un écrivain n’est pas un prêtre. Que peut-il faire plus qu’aider ses lecteurs à se découvrir eux-mêmes ? Son rôle s’arrête là.

Pouvez-vous toujours échapper aux confidences que l’on vous fait et leur répondez-vous ?

Ma correspondance est pour moi une véritable angoisse. Pourtant, certaines lettres très belles, qui m’arrivent humblement exigent une réponse et je ne m’y dérobe pas. Mais les véritables correspondants n’osent pas écrire. La plupart des lettres que je reçois ne permettent pas qu’on leur réponde. D’ailleurs, un écrivain doit protéger sa solitude et j’écris le moins possible de lettres.

En a-t-il toujours été ainsi ?

Non. Jeune, j’ai énormément écrit, un peu à tort et à travers. Mais c’était avant que je me sois exprimé par mes livresCaroline Mauriac confirme : François Mauriac se faisait plus volontiers épistolier dans sa jeunesse (LV, p. 10). S’il est vrai que, par rapport à des écrivains comme Gide ou Roger Martin du Gard, Mauriac écrivait relativement peu de lettres, toujours est-il que sa correspondance remplit plusieurs tomes où ce ne sont pas toujours des lettres écrites au cours de sa jeunesse qui dominent (que l’on pense à sa correspondance avec Jean Paulhan, par exemple)..

Des correspondances illustres ne nous prouvent-elles pas que certains écrivains du passé se sont livrés davantage encore dans leurs lettres que dans leur œuvre ?

Si. Et j’ajoute que j’ai une prédilection pour la lecture des correspondances. Celle de FlaubertUne nouvelle édition de la Correspondance de Gustave Flaubert avait paru en 9 tomes chez Louis Conard entre 1926 et 1933, remplaçant l’édition précédente de Caroline Grout, publiée en 4 tomes aux éditions Charpentier entre 1887 et 1893., par exemple, qui exprime la véritable profondeur de l’homme. J’aime moins la correspondance de ProustLa Correspondance générale de Marcel Proust, publiée par Robert Proust et Paul Brach, parut chez Plon entre 1930 et 1936. qui ne révèle que la moins bonne partie de lui-même : le mondain.

Une dernière question. Autoriserez-vous la publication de votre correspondance ?

Certes non, ni de mon vivant, ni après ma mortÉvoquant sa décision de publier un recueil de lettres de son beau-père, Caroline Mauriac souligne l’absence de toute donnée testamentaire à ce sujet (LV, p. 7).. Mais les volontés posthumes d’un écrivain ne sont pas, hélas ! toujours respectées…

[…]Suivent les réponses de Jules Supervielle et de Paul Valéry.

Roger LANNES