Œuvre journalistique de François Mauriac 1937-1938

Une enquête du « Figaro » pour ou contre la réforme des actualités cinématographiques : Les visions d’horreurs prennent, sur l’écran, une place grandissante

Jeudi 15 février 1938
Le Figaro

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UNE ENQUETE DU « FIGARO » pour ou contre la réforme des actualités cinématographiques Les visions d’horreurs prennent, sur l’écran, une place grandissante

Les actualités cinématographiques présentent, chaque semaine, des images d’un affreux réalisme : visions de guerre, de crimes, etc… Beaucoup de specta-teurs s’en plaignent, mais d’autres déclarent qu’il vaut mieux tout montrer.

La presse filmée doit-elle ou non modifier sa formule actuelle ? Pour le savoir, nous avons posé à différentes personnalités les questions suivantes :

1° Que pensez-vous de l’orientation des actualités filmées ? Jugez-vous que l’on doive admettre sur l’écran la vue des victimes des séismes, crimes, accidents ou conflits ?

2° Si vous vous élevez contre cette formule, comment concevez-vous celle qui la devrait remplacer ?

3° Jugez-vous que l’étalage du crime et de ses conséquences, de la guerre et de ses suites soit de nature à en encourager l’expansion ou à en inspirer l’horreur ?

4° N’y aurait-il pas lieu, si vous vous prononcez pour le maintien de la formule actuelle, d’en réserver la projection pour les heures où les enfants et les très jeunes gens n’ont pas l’habitude d’aller au cinéma ?

Voici les premières réponses :

Réponse du docteur M. Thierry de Martel

« 1° Non à supprimer ! »

« 2° Ça n’est pas mon affaire, mais il me semble qu’il vaudrait mieux mon-trer ce que créent l’intelligence et le cœur plutôt que d’insister sur ce que détruisent la bêtise et la bestialité ; »

« 3° A en encourager l’expansion, cer-tainement ; »

« 4° Sans aucun doute. Mais je ne suis pas pour le maintien de la formule ac-tuelle… qui sera pourtant maintenue parce qu’elle plaît au public. »

Réponse de M. François Mauriac de l’Académie française

« 1° L’abus des actualités sportives confère à la formule actuelle une très grande monotonie ; »

« 2° Il est excellent d’insister, à l’écran, sur les horreurs de la guerre, qui en condamnent le retour ; il faut que l’on sache qu’il y a eu, à Barce-lone, à Shanghaï, des enfants assassi-nés, des maisons éventrées. Et je suis toujours étonné du silence de la salle, de sa passivité devant certaines projec-tions. »

« Personnellement, je n’ai pas vu, dans les actualités cinématographiques, de crimes affreux, mais j’en juge l’étalage absolument inutile; »

« 3° La formule actuelle doit être maintenue parce qu’il faut que l’huma-nité prenne ses responsabilités. Mais si nous acceptons un tel état de cho-ses, alors tant pis pour nous ! »

« 4° Autrefois, j’aurais répondu : oui ! Mais, aujourd’hui, je considère que les jeunes, aussi, doivent savoir. Nous de-vons tous savoir. »

Réponse de l’aviateur Dieudonné Costes

« 1° On doit continuer à montrer les actualités, en ce qui concerne les con-flits qui sont dus à la faute des hom-mes, car il faut bien que chacun se pé-nètre de l’importance de pareilles ca-tastrophes consécutives au manque de réflexion et de pondération ou d’or-gueil démesuré. »

« Pour les séismes, les crimes ou les accidents, on pourrait être plus discret ; »

« 2° Je suis partisan de la formule actuelle ; »

« 3° La projection sur les écrans des actualités de guerre que nous voyons en ce moment inspire à chacun, après un pareil spectacle, un profond désir de paix ; »

« 4° Il faut que les enfants et les jeu-nes gens s’habituent de bonne heure à la misère humaine, à l’horreur des guerres et des catastrophes, pour pou-voir contribuer à les éviter plus tard. »

(Réponses recueillies par Jean Laury.)


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