Œuvre journalistique de François Mauriac 1937-1938

Une protestation contre le bombardement des populations civiles

Mardi 22 mars 1938
Le Figaro

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Une protestation
contre le bombardement
des populations civiles

Le Comité français pour la paix
civile et religieuse en Espagne[1][1] Créé en mars 1937 sous la présidence de Jacques Maritain, ce comité français prônait la médiation entre les deux camps espagnols. Ses objectifs sont bien décrits dans un article paru trois mois plus tard dans L’Ouest-Éclair :
« En réponse à l’appel d’un certain nombre d’Espagnols résidant en France, il a été fondé un Comité français pour la paix civile et religieuse en Espagne. Né d’initiatives catholiques, il est ouvert non seulement aux catholiques, mais aussi à ceux auxquels leurs croyances, ou tout au moins leur respect de la liberté des consciences, font attacher une importance particulière à la paix religieuse, élément essentiel de la paix civile.
Ce Comité déclare se tenir en dehors des partis politiques. C’est au nom d’un devoir d’humanité qu’il a été formé et qu’il groupe des hommes d’opinions très différentes, mais qui tiennent tous cependant que la guerre civile est le pire fléau pour une nation.
Ce Comité envisage avant tout, dans l’ordre des moyens : a) d’aider les œuvres d’humanité qui peuvent être entreprises en territoire étranger ; b) d’agir sur l’opinion publique internationale en luttant contre toutes tendances à exaspérer les haines partout soulevées par cette guerre, en contribuant à apporter des informations bien vérifiées et en s’appliquant à susciter un état d’esprit favorable à une action pacificatrice ; c) d’agir éventuellement sur les gouvernements des États européens par voie parlementaire ou par démarches directes. » ( « Un Comité français pour la paix civile et religieuse en Espagne » , L’Ouest-Éclair, 10 juin 1937, p. 3.
et le
Comité espagnol pour la paix civile[2][2] Créé en février 1937, et basé à Paris, ce comité espagnol était présidé par Alfredo Mendizábal. Entre décembre 1937 et mai 1939, il assura la publication d’un bulletin mensuel intitulé La Paix civile.
nous communiquent :

Les méthodes de guerre totale em-
ployées contre les non-combattants
sont un crime qu’aucune raison stra-
tégique ne saurait justifier et qui
déshonorent le camp, quel qu’il soit,
qui les utilise. En particulier, les
bombardements aériens massifs sur
des centres de population civile où
les objectifs militaires, s’ils exis-
[3][3] Ligne illisible sur le site de Gallica
doivent être considérés comme des
mesures de terrorisme, que ce motif
soit avoué ou non.

Nous constatons en ce moment
une recrudescence de ces procédés.
Barcelone vient d’être la proie du
plus écrasant bombardement que
l’on ait enregistré depuis les dé-
buts de l’arme aérienne[4][4] Le bombardement massif de Barcelone dura du 16 au 18 mars 1938. Le Figaro titrait à la une de son numéro du 19 mars : « Les bombardements de Barcelone se multiplient. Plus de 600 morts et de 1000 blessés depuis mercredi soir. Deux consuls de France sont tués et un autre est blessé. » ..

Si des raisons de simple humanité
suffisent pour condamner un tel
massacre de non-combattants, ce
massacre devient plus révoltant en-
core s’il est possible lorsque les
chefs responsables des opérations se
réclament de la civilisation chré-
tienne.

Au moment où les gouvernements
français et anglais joignent leurs
efforts pour obtenir la fin de ces
hécatombes[5][5] Cette démarche franco-britannique est évoquée dans un article intitulé « Les Bombardements aériens : Paris demande à Londres de s’associer à une démarche française auprès du général Franco. Le Vatican sera également sollicite d’intervenir » , Le Figaro, 20 mars 1938, p.1. L’article précise que la note envoyée par le gouvernement français au gouvernement britannique « indique que cette initiative […] a bien plus le caractère d’un appel que celui d’une protestation » . Rappelons que, s’inspirant de l’exemple français, des intellectuels britanniques avaient créé le British Committee for Civil and Religious Peace in Spain (Comité britannique pour la paix civile et religieuse en Espagne) en octobre 1937., il est utile que l’opi-
nion publique se fasse entendre.

Nous élevons une protestation so-
lennelle contre ces procédés et ap-
pelons les hommes de bonne vo-
lonté, et spécialement les chrétiens,
à joindre leurs voix aux nôtres.

Pour le Comité français pour la
paix civile et religieuse en Espagne :

Mgr E. Beaupin[6][6] Eugène Beaupin (né en 1877), ordonné prêtre en 1901 et attiré par le Sillon de Marc Sangnier au début de son sacerdoce. En 1936 il avait publié, avec André Waltz, un livre intitulé Le Comité d’entente des grandes associations internationales : dix ans d’activité., directeur du Comité
catholique des Amitiés françaises à
l’étranger ; Georges Duhamel[7][7] Georges Duhamel (1884–1966), médecin (docteur de Fresquet) et écrivain français, élu à l’Académie française en 1935., de
l’Académie française ; docteur de
Fresquet, Louis Gillet[8][8] Louis Gillet (1876-1943), historien d’art et de la littérature, élu à l’Académie française en 1935., de l’Académie
française ; Jacques Madaule[9][9] Jacques Madaule (1898–1993), critique littéraire (grand spécialiste de l’œuvre de Claudel) et un intellectuel catholique engagé. Après l’Occupation, il fut un des fondateurs de l’Amitié judéo-chrétienne de France et milita au sein du Mouvement de la paix., Gabriel
Marcel[10][10] Gabriel Marcel (1889–1973), philosophe et dramaturge français, considéré comme un représentant de l’existentialisme chrétien. Il fut élu à l’Académie des sciences morales et politiques en 1952., Jacques Maritain[11][11] Jacques Maritain (1882–1973), philosophe français et figure de proue des intellectuels catholiques dans la période de l’entre-deux-guerres. Après une période au cours de laquelle il fut proche de l’Action française, il se tourna vers la démocratie chrétienne. Entre 1945 et 1948 il fut ambassadeur de France au Vatican., François
Mauriac, de l’Académie française ;
Paul Vignaux[12][12] Paul Vignaux (1904–1987), spécialiste de philosophie médiévale et syndicaliste chrétien. En 1937, il fut l’un des fondateurs du SGEN-CFTC (Syndicat général de l’éducation nationale - Confédération française des travailleurs chrétiens)., Claude Bourdet[13][13] Claude Bourdet (1909–1996), journaliste catholique de gauche qui se distingua dans les rangs de la Résistance. Suite à l’Occupation, il participa activement à la lutte anticoloniale., se-
crétaire.

Pour le Comité espagnol pour la
paix civile :

Alfred Mendizabal[14][14] Alfredo Mendizábal (1897–1981), professeur de droit à l’Université d’Oviedo et proche des intellectuels français groupés autour de la revue Esprit d’Emmanuel Mounier. Son livre Aux origines d'une tragédie : la politique espagnole de 1923 à 1936 (Desclée de Brouwer, 1937) fut préfacé par son ami Jacques Maritain., Victor Montserrat[15][15] Sous le nom de Victor Montserrat, José Maria Tarragó publia Le Drame d’un peuple incompris : la guerre au Pays basque chez H.-G. Peyre en 1937, traduit par Julien Thomas d’Hoste, et avec une préface de François Mauriac.,
Juan Roca[16][16] Juan Bautista Roca i Caball fut un des membres fondateurs de l’Unió Democràtica de Catalunya (Union démocratique de Catalogne). Suite au déclenchement de la Guerre d’Espagne, il dut s’exiler à Paris où, avec Alfredo Mendizábal et d’autres intellectuels espagnols, il fonda le Comité espagnol pour la paix civile et en devint le secrétaire général..



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