Œuvre journalistique de François Mauriac 1937-1938

Nouvelles adhésions à notre Comité de Patronage

Samedi 20 mars 1937
La Juste Parole

M. Ernest Pezet[1][1] Ernest Pezet (1887–1966), député du Morbihan de 1928 à 1942 ; il fut élu sénateur à trois reprises sous la IVe République.
Député du Morbihan

On connaît l’activité débordante de M. Ernest Pezet dans la presse et au Parlement, où
l’on apprécie hautement sa compétence dans les questions de politique étrangère. Chevalier de
la Légion d’honneur, Croix de guerre, commandeur de l’Étoile de Roumanie, M. Ernest Pezet
est l’auteur d’ouvrages comme Combattants et citoyens (1924), Des héros hors la loi (1925),
Où va la Pologne ? (1929).

Dans un billet laconique, M. Ernest Pezet nous dit qu’accablé de « comités et d’adhé-
sions » , il fait volontiers, en faveur de la Juste Parole, une exception à ses refus constants.
Nous le savions, en effet, homme politique trop averti et catholique trop sincère pour ne pas
approuver notre action, et nous lui sommes profondément reconnaissant de nous en avoir donné
le précieux témoignage.

Le Comte Jean de Pange[2][2] Le comte Jean Thomas de Pange (1881–1957), historien et écrivain français, fut un ardent défenseur du rêve de l’union européenne.
Collaborateur à la Revue des Deux Mondes, à la Revue Hebdomadaire, au Journal des Débats, auteur
d’ouvrages nombreux : Les libertés rhénanes, Gœthe en Alsace, Les soirées à Saverne, Les deux Cités.

Je donne bien volontiers mon nom à votre Comité de Patronage. Les catholiques ne doivent-ils
pas être les premiers à protester contre ces doctrines racistes qui menacent si dangereusement
leur tradition ? Si l’on poursuit les Juifs au nom de leur race, respectera-t-on leur religion,
la révélation mosaïque dont le christianisme est le prolongement ? N’en viendra-t-on pas à
nationaliser la religion comme tout le reste ?

Je souhaite vivement que votre œuvre de charité et de justice ait le succès qu’elle mérite,
et je vous prie d’agréer l’assurance de mes sentiments distingués.

Jean de PANGE

M. Charles-François Mauriac[3][3] Cette lettre est reproduite (et en partie critiquée) dans un article intitulé « Le « Centre de Documentation et de Vigilance » remercie M. François Mauriac et lui répond » , paru le 23 avril 1937 dans L’Univers israélite (p. 508) [hyperlien].
De l’Académie française, ancien président de la Société des Gens de lettres[4][4] Mauriac fut élu à ce poste en mars 1932 : le 7 du mois selon Jean Lacouture (François Mauriac 1 : Le sondeur d’abîmes, Seuil, 1990, p. 371) et le 14 selon Jean-Luc Barré (François Mauriac : biographie intime, 1885–1940, Fayard, 2009, p. 456)., lauréat, en 1926, du
Grand Prix du Roman[5][5] Pour Le Désert de l’amour (Grasset, 1925). :

J’adhère volontiers au Comité de La Juste Parole. Pour un catholique, l’antisémitisme
n’est pas seulement une faute contre la charité. Nous sommes liés à Israël, nous lui sommes
unis[6][6] Cette idée est développée par saint Paul dans les chapitres 9 à 11 de son épître aux Romains., que nous le voulions ou non. Je crois pourtant[7][7] Les réserves émises à partir de ce « pourtant » peuvent étonner dans une lettre d’adhésion au comité de patronage d’un journal luttant contre l’antisémitisme, surtout dans le contexte de ce qui se passait en Allemagne où les lois de Nuremberg, adoptées en septembre 1935, privaient les juifs de leurs droits civiques et leur interdisaient de se marier avec des Allemands non-juifs. qu’Israël est quelquefois en partie res-
ponsable de l’instinct de défense qu’il éveille dans certaines nations, à certaines époques, comme
d’ailleurs, le clergé en France avant la Révolution, et de nos jours en Espagne. La lutte contre
l’antisémitisme devrait commencer chez les Juifs eux-mêmes, comme la réforme de l’Espagne
devra être d’abord une réforme du clergé.


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Les Juifs ne peuvent pas se perpétuer, se marier entre eux, s’isoler jalousement des chrétiens,
sans créer un état de défense et d’hostilité[8][8] Ce point de vue rappelle la tradition issue de la Révolution et incarnée dans la célèbre déclaration faite par le comte du Clermont-Tonnerre à l’Assemblée le 23 décembre 1789 : « Il faut tout refuser aux Juifs comme nation, et accorder tout aux Juifs comme individus » (citée par Rita Hermon-Belot, L’Émancipation des juifs en France, Presses Universitaires de France, 1999, p. 59)..

Ils ne peuvent pas accaparer la finance internationale, sans donner aux peuples le sentiment
d’être dominés par eux. Ils ne peuvent pas pulluler partout où l’un d’eux s’est introduit (le
ministère Blum[9][9] Le socialiste Léon Blum (1872–1950), d’origine juive, était Président du Conseil depuis le 4 juin 1936. Il resterait à la tête du gouvernement jusqu’au 21 juin 1937.), sans éveiller la haine, parce qu’ils se livrent eux-mêmes à des représailles[10][10] Comme le montre l’article intitulé « Remerciements et réponse à M. Charles-François Mauriac » , publié dans le prochain numéro de La Juste Parole [hyperlien], cette phrase et la précédente ont valu à Mauriac des critiques de la part de la communauté juive. Même s’il a été horrifié par le sort réservé aux juifs sous le régime de Vichy, on peut penser qu’en 1937 Mauriac n’avait pas encore totalement surmonté l’influence de l’antisémitisme ambiant qui a marqué sa jeunesse (voir BN, I, 107–08 et BN, V, 23)..
Des Juifs allemands reconnaissaient devant moi qu’il existait en Allemagne un problème juif,
et qu’il fallait le résoudre. Il finira par en exister un en France, je le crains.

En résumé, je m’associe à la lutte contre l’antisémitisme, mais je crois qu’il dépend des
Juifs eux-mêmes de le rendre moins violent, et que la guérison de ce mal ne sera obtenue que
par l’effort des Juifs et des chrétiens réunis.


Au moment de mettre sous presse, nous recevons l’adhésion de M. le Chanoine
DESGRANGES[11][11] Jean-Marie Desgranges (1874–1958), ordonné prêtre en 1891, fut député du Morbihan de 1928 à 1942. Sous l’Occupation, il fut lié aux mouvements de Résistance, mais, choqué par les événements de l’épuration, il publia Les Crimes masqués du « résistantialisme » aux Éditions de l’Élan en 1948., député du Morbihan, le réputé conférencier populaire qui, tout récemment,
a donné sa 3000e conférence contradictoire. La voix éloquente de M. le Chanoine Desgranges
s’est déjà élevée contre les persécutions juives en Allemagne, lors de la mémorable et solen-
nelle protestation au Trocadéro, le 10 mai 1933.

Nous publierons dans notre prochain numéro la lettre que M. le Chanoine Desgranges
veut bien nous annoncer ; nous espérons encore une ou deux autres adhésions de personnalités
éminentes dont nous savons la sympathie pour notre action.



Date:
© les héritiers de François Mauriac (pour le texte des articles) et les auteurs (pour les notes)